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Par Corval le 6 Avril 2009 à 22:45On l'a vu dans la précédente partie, les rythmes ont changé et avec eux est née une nouvelle génération de groupe qui ont relégué l'ancienne à un rang obsolète.
C'est que l'environnement international s'est durablement modifié lui aussi. Elvis est devenu une vedette de cinéma; Jerry Lee Lewis est englué dans des scandales qui le dépassent; Chuck Berry et Little Richard sont, eux aussi, au creux de la vague. En France, les mutations s'accélèrent et la "casse" est considérable. Vince Taylor rate un énième retour au premier plan avec un nouveau groupe. Eddy Mitchell et Dick Rivers se lancent sérieusement dans une carrière solo. Johnny Hallyday grave d'ultimes "Rocks les plus terribles", avec Joey and The Showmen, avant de s'engouffrer, à son tour, dans un long tunnel de 14 mois de service militaire. Et seuls les yéyés, en cette période de transition, semblent avoir bon pied bon oeil.
C'est le moment que choisit une nouvelle génération pour pointer le bout de son nez. Ceux-là ne regardent pas du côté de l'Amérique mais de Londres. Leurs idoles s'appellent les Beatles, les Animals, les Kinks et les Rolling Stones. Ils portent des boots, de petits gilets de cuir et surtout... ils ont les cheveux longs ("comme les filles", se lamentent les journaux, reprenant leur délire de persécution là où ils l'avaient laissé en 1962).
La polémique (et l'aventure) repart donc de plus belle. Cette fois-ci, le nouveau porte-parole des jeunes gens en colère s'appelle Ronnie Bird. Il a mit au point un étonnant jeu de scène et multiplie les formations destinées à jouer à ses côtés. Il y aura les Stormbeats puis les Newbeats puis les Tarés puis les Poppies... Incontestablement, Ronnie (de son vrai nom, Ronald Méhu) domine la nouvelle scène. Il adapte à sa manière les succès des Pretty Things, des Stones ou des Hollies. Il impose le "style anglais" dans ces nouvelles boîtes où "ça chauffe" et qui s'appellent La Locomotive ou le Bus Palladium. Dans ce milieu des années soixante, la danse à la mode est le jerk. Le journal qu'il faut avoir dans la poche de son jean s'appelle Disco Revue.
Autre porte-étendard, ultra doué lui aussi, de cette génération très spontanée, Noël Deschamps, dont le groupe d'accompagnement, les Sharks, fait trembler les murs de tous les clubs parisiens de cette époque.
Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, ces musiciens surdoués, malgré leur solide réputation, n'arriveront jamais à s'imposer à la manière de leurs homologues d'outre-Manche. Ainsi, les Lionceaux, quatre garçons dans le vent venus de Reims et sacrés au Golf Drouot, s'emparent du répertoire des Beatles mais se révèlent incapables de triompher sur la durée. Entre deux concerts, ils accompagnent Johnny Hallyday qui enregistre, lui, "Le pénitencier", d'après la version de "The house of the rising sun" des Animals.
Les Sunlights viennent du Nord. Ils ont déjà une longue carrière derrière eux lorsqu'ils gravent leur version du "Déserteur" de Boris Vian, dans une tonalité folk-rock héritée de Bob Dylan et imposée en France par le troubadour Hugues Aufray.
Hector, lui, ne sort pas sans ses Médiators. C'est la version française des hurleurs fous qui arpentent l'Amérique à la manière de Screamin' Jay Hawkins ou secouent l'Angleterre, comme l'infernal Lord Sutch.
Hector porte chapeau claque, se rend en concert en fiacre et se fait récupérer par ses laquais lorsque la transe le laisse sans voix, les bras en croix sur la scène de l'Olympia.
Avec l'irruption en France du rhytm'n'blues dans l'hiver 65-66, les modes changent... et les artistes aussi. Vigon (Abdelghafour Mouhsine) accompagné par les Lemons arrive tout droit du Maroc. Le jeune Vigon accomode Little Richard à la sauce James Brown mais son show extatique ne dépassera guère la petite communauté rock de Paris. S'en était presque dommage...
Et c'est Nino Ferrer qui tire les marrons du feu, après quelques essais infructueux, reprenant la vieille recette, chère au duo Vian-Salvador, des musiques rythmées plaquées sur un texte humoristique. Au milieu des années soixante, La France entière court avec lui après sa "Mirza", dont la course est scandée par une excellente formation que Nino baptisera peu après la "bande à Ferrer".
Nino Ferrer est un des premiers à ne pas se considérer comme un chanteur accompagné par des musiciens cantonnés trois pas derrière lui. Il se présente comme le leader d'un véritable groupe, ce qui donne à ses prestations et à ses disques un impact visuel et sonore tout à fait considérable. Il poussera le processus jusqu'à son terme en enregistrant des disques instrumentaux avec son orchestre sous le nom de Gottamou (francisation un peu abrupte du "I gotta move" des vieux bluesmen américain).
Antoine, flanqué de ses Problèmes (futurs Charlots), adopte à peu près la même posture, la provocation physique en plus. Dans la France de la reconstruction et du gaullisme triomphant, les "Elucubrations" du beatnik échappé de Centrale sèment une véritable panique. Et, à nouveau, les fauteuils de l'Olympia vacillent. Antoine introduit la "contestation" dans la culture française (non-violence, amour libre, conscience "de gauche", esprit libertaire et antimilitariste) soutenu, en cela, par Michel Polnareff dont la chanson "L'amour avec toi" fait scandale. C'est l'ère du "look" Mod venu de Canarby Street, de la mini-jupe, des chemises à fleurs et des pantalons patte-d'éléphant. C'est aussi l'époque des doux délires plus ou moins inspirés par certaines fumées interdites (qu'on dit "psychédéliques"), de la guerre du Viêt-nam et de l'accession des femmes à la pilule.
Au milieu de ces chanteurs plus ou moins solitaires, quelques groupes parviennent à imposer leur style.Ainsi les 5 Gentlemen, de Marseille, et leur fameux "Dis-nous Dylan" ou encore le King Set dont le chanteur, Michel Jonasz (ex-Lemon), sera l'une des grandes voix de la décénnie suivante.
Les groupes français de ces remuantes sixties, qui se baptisent Boots, Pollux, Rockers, Anonymes et autres Sinners, n'auront pas eu de chance, au bout du compte. Trop jeunes, trop purs, trop peu malléables, trop inconscients des exigences d'un métier particulièrement difficile, ils ne réussiront guère à se maintenir sur la durée. Et il faudra attendre la toute fin des sixties pour voir enfin des formations s'imposer au-delà d'un ou deux 45 tours.
Les Variations, Triangle, Zoo, Ange ou Martin Circus auront un peu plus de chance. Et la génération punk/new wawe (Téléphone, Star-shooter, Indochine puis Noir Désir) plus de chance encore.
Il n'en reste pas moins vrai que la nostalgie Chaussettes Noires, Chats Sauvages ou Danny Boy et ses Pénitents n'a jamais cessé d'agir. Curieuse destinée que celle de ces formations, qui auront produit et vendu plus de disques après leur éclatement qu'avant, et dont la notoriété n'aura duré que quelques mois. Quelques mois de leur "vivant" et, depuis leur disparition, c'est plus de quarante ans d'existence virtuelle, au gré de rééditions nombreuses et multiformes.
Cette fascination pour ces artistes, qui ont traversé le ciel des stars à la vitesse des comètes, n'en finit pas de durer et de hanter la bande FM. Elle nous rappelle qu'une génération, celle des enfants d'Elvis et de James Dean, a cru, le temps d'une danse, à une musique-potion magique qui donnerait la jeunesse éternelle.
Corval
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Par Corval le 4 Avril 2009 à 11:56
Des voitures renversées, des arbres arrachés, des casinos saccagés, des fauteuils qui volent dans les airs comme de vulgaires moustiques, des interdictions municipales qui pleuvent par dizaines, des bagarres, des cris... Assurément, la déferlante rock'n'roll n'a pas épargné nos villes entre 1960 et 1966.
Ca a le mérite d'être clair et net, l'histoire du rock français commence par un compte rond : l'année 1960. on peut même lui accorder une date de naissance "discographique" : le 14 mars, jour de la sortie, par la maison Vogue, du premier 45 tours de Johnny Hallyday, "T'aimer follement". Mais, auparavant, les balbutiements ont été nombreux, parfois réussis, parfois catastrophiques, mais toujours intéressants. Il aura, en effet, fallu cinq ans pour que le rock triomphant outre-Atlantique accoste sur les plages du Vieux Monde. Au même titre que l'Angleterre ou la République fédérale d'Allemagne, la France est progressivement touchée, via les bases américaines où les soldats dansent devant les juke-boxes sur les rythmes d'Elvis Presley.
Dès 1956, le vieux pays gaulois se met au rock dans la joie et la bonne humeur grâce, notamment, à la bonne blague des trois potaches du disque qui se sont enfermés, à la fin de l'année, dans un studio d'enregistrement appartenant à Philips, Henry Cording (alias Henry Salvador) "and his original rock and roll boys", Big Mike (alias Michel Legrand) et le Vernon Sullivan de "J'irai cracher sur vos tombes", Boris Vian.
Les trois compères gravent sur vinyle "Rock and roll mops", "Dis-moi que tu m'aimes rock", "Va te faire cuire un oeuf, man" et l'inénarrable "Rock-Hoquet". Machine à se moquer de Bill Haley, de Chuck Berry et consort, le disque se voit accorder, ironique retour des choses, le statut d'oeuvre authentique et... très réussie de pur rock'n'roll, faisant de cette histoire une sorte "d'arroseur arrosé" au pays de la guitare électrique.
C'est donc clair, le rock'n'roll, en France, s'inscrit sous le signe de l'éclat de rire général. Pour faire du rock dans l'hexagone tout en échappant à l'agressivité d'une presse déchaînée sur le sujet, il convient de s'en moquer.
Mais une génération plus jeune, et moins férue de "vrai" jazz, n'a pas tout à fait le même point de vue sur la question. Ces authentiques fans des rockers américains ont une autre idée derrière la tête : imposer vraiment le rock'n'roll en France, le plus pur, celui qui fait s'évanouir les filles et voler les chaînes de moto des garçons. Claude Piron, futur Danny Boy, est de ceux-là. Avec Richard Anthony, voici venir la version sage du rock'n'roll français. Son "Peggy Sue" de 1958 est peut-être un peu doux, comparé aux essais furibards de ses petits camarades mais c'est tout de même lui qui plante la première banderille dans la romance latine à bout de souffle que programment alors les radios. Sa "Nouvelle vague" de janvier 1960 s'insinue dans l'oreille des adolescents par l'intermédiaire du tout nouveau transistor et c'est un immense succès : 150 000 exemplaires écoulés dans l'année.
"Nouvelle vague" en hiver, "T'aimer follement" au printemps pourrait être le proverbe qui qualifie le mieux cette année 1960 où tout explose, où se multiplient les ventes de microsillons et de récepteurs de télévision. Un monde est en marche et Johnny "Souvenirs, souvenirs" Hallyday n'est pas le dernier à s'en rendre compte. Le 18 avril 1960, il est parrainé par Line Renaud à l'émission "L'école des vedettes". La France des collèges et des lycées sait maintenant quel grand frère elle va suivre : ce sera cet incroyable adolescent blond et ce sera tout de suite, dans l'urgence. "Kili watch", "24 000 baisers", "Nous les gars, nous les filles" confirment les ravages que l'idole provoque dans les surprises-parties en attendant les tournées apocalyptiques de l'été 61 et le premier Olympia de septembre.
Si la tendance est aux artistes solitaires, ceux-ci sont en général flanqués d'un groupe de musiciens dont l'image et l'attitude viennent souligner le côté "bande de jeunes" indispensable en cette période qui invente un concept nouveau, issu de la société de consommation américaine : le teen-ager. Selon les époques, on retrouvera Johnny Hallyday entouré par ses Golden Strings, ses Golden Stars, par Joey et ses Showmen puis par les Blackbirds. Orchestres de rock à part entière, ces "groupes de Johnny Hallyday", comme les présentent les pochettes de disques, publient leurs versions instrumentales des grands standarts américains qu'ils reprennent lors des concerts, de façon à maintenir la salle sous pression pendant que l'idole se change en coulisses.
L'année 1961 signe l'apparition des groupes "complets", c'est-à-dire incluant leur propre chanteur. Ainsi le parisien Claude Moine devient Eddy Mitchell et forme les Cinq Rocks que la société Barclay s'empresse de rebaptiser Chaussettes Noires pour plaire à leur sponsor, les chaussettes Stemm. Le quintet s'impose rapidement comme le premier groupe français. Il explose dès son premier 45 tours avec sa reprise de "Be bop a lula" et sa version très réussie de "Tu parles trop".
Nous sommes aux premiers jours de l'année et le groupe se retrouve programmé au Festival du rock qui se tient au Palais des Sports, le 24 février. Cinq mille "blousons noirs" crient leur fureur de vivre et ravagent le Palais comme les rues alentour. Le baptême est un peu rude pour ces musiciens novices et enthousiastes, dépassés par la folie de leur public, mais voilà leurs noms gravés dans le marbre de la légende, après deux ou trois mois de carrière.
Hervé Forneri vient de Nice. Il prend pour nom Dick Rivers, en hommage à Elvis qui portait ce patronyme (Deke Rivers, en réalité) dans le film "Loving you". Avec ses Chats Sauvages, il créé "Ma petite amie est vache", "C'est pas sérieux" et "Twist à St-Tropez", trois tubes énormes.
L'été 1961 est bien celui de tous les dangers. Il s'ouvre le 18 juin, avec le deuxième Festival rock du Palais des Sports qui réunit, entre autres, Danny Boy, Richard Anthony et les Chaussettes Noires dont la réputation ne cesse de croître. Bilan d'une soirée de délire : 85 arrestations et 4 agents de police blessés. Les tournées des casinos, qui commencent début juillet, déclenchent une série d'émeutes qui se répéteront en 1962 et culmineront en 1963 avec la fameuse Nuit de la Nation. A Montbéliard, il faut libérer la salle à coups de gaz lacrymogènes. A Tarbes, la contrebasse est achevée à coups de jets de projectiles. A Bordeaux, les cygnes du jardin public, cours de Verdun, sont immolés et plusieurs arbres sont déracinés à l'issue d'un spectacle de Johnny Hallyday.
Les municipalités se replient dans la panique face à ces hordes présentées par la presse comme les nouveaux barbares. Philippe Bouvard croit même y reconnaître, dans France-Soir, les petits enfants d'Hitler. Rien que ça ! Les interdictions pleuvent. La polémique enfle. Les anciens combattants s'en mêlent et le biologiste Jean Rostand entreprend de mesurer scientifiquement l'étendue des dégâts. Le rock'n'roll ne rendrait-il pas un peu fou voire même un peu criminel ? On en oublierait presque les fameux "événements" d'Algérie qui entrent dans une phase critique et flirtent avec la guerre civile.
La rentrée alourdit encore plus le climat. Pour l'ultime festival du rock, l'hystérie est telle que la vedette de la soirée, l'Anglais Vince Taylor, accompagné par ses Play-Boys, est contraint de renoncer à monter sur scène. Le bilan, cette fois, ne fait plus rire personne : 14 agents blessés, 2 000 fauteuils arrachés et pulvérisés. Selon les commentateurs de l'époque, ça commence à faire beaucoup !
La personnalité du beau Vince, tout de cuir noir vêtu, et de son groupe, dirigé par le célèbre "batteur fou" Bobbie Clarke, cristallise sur elle tous les démons qu'on attribue à ce genre de musique. Leur extraordinaire jeu de scène, la violence brute de leurs interprétations des grands classiques, leur animalité flamboyante font d'eux des boucs émissaires idéaux pour les adultes. Ce rock violent et convulsif ne survivra pas à l'irruption des gentils Yéyés, favorisés par les émissions de radio à la mode comme "Salut les copains" (dont le premier numéro écrit sortira dans les kiosques au seuil de l'été 1962). Les Yéyés vont orienter différemment la musique de rythme en France. Les mignons Claude François, Françoise Hardy, Frank Alamo, France Gall et Sylvie Vartan arrachent le rock'n'roll hexagonal à la rue pour le ramener sur les pistes de danse, laissant notre pays fort dépourvu face à l'avènement des affreux Kinks et des horribles Rolling Stones.
Mais, en cette saison 61-62, la parole est toujours aux puristes. Si Johnny twiste à l'Olympia avec ses Golden Stars, il reste fidèle, en parallèle, à Eddie Cochran dont il reprend le "Something else" pour en faire "Elle est terrible". Les Chaussettes Noires sont au sommet de leur gloire. "Daniela" les a imposés à un public plus large. Mais ils n'oublient pas leurs fans. Leur "Eddie sois bon", adaptation de "Johnny B. Good", de Chuck Berry, fait un malheur. "Dactylo rock", "Chérie ! oh ! chérie" et "Petite soeur d'amour" (le "Little sister" d'Elvis) confirment leur talent déconcertant pour écrire des petits textes sans prétention qui tendent aux adolescents un miroir dans lequel ils se reconnaissent. Quant à "Peppermint twist", il leur donne l'occasion de s'adjoindre un saxo, instrument emblématique de ces années dédiées aux exhibitions collectives sur les pistes de danse.
Les disques Bel-Air, filiale de la société Barclay, cherchent, eux aussi, "leur" groupe de rock. Ce seront Les Pirates, emmenés par Dany Logan (Daniel Deshayes). Les Pirates sont très bien habillés, très parisiens et très sympas. "Je bois du lait" vaut à ces enfants sages quelques rentrées publicitaires (le comité du lait pourvoit indirectement à leurs frais vestimentaires), un succès éphémère et les regards énamourés de toutes les petites filles du premier rang.
Danny Boy et ses Pénitents signent, eux, chez Ricordi. Le jeune Normand n'avait pas convaincu lors de ses débuts sous le nom de Claude Piron. Grâce au cirque Pinder, qui emmène le groupe en tournée à travers toute la France avec sa "Piste aux étoiles", c'est enfin le succès. Pour toute une génération, celle des collégiens de la France dite "profonde", Danny Boy, l'homme en blanc, et ses musiciens dissimulés sous une cagoule rouge sont la première formation rock applaudie sur une scène. Avec "Un collier de tes bras", le beau Danny devient une sorte d'Elvis Presley converti à la langue de Molière.
Les Vautours aussi vont connaître leur heure de gloire, au sein de l'écurie Festival. Leur chanteur, Vic Laurens, frère de Tony d'Arpa, le guitariste des Chaussettes Noires, est beau et convaincant quand il chante "Le coup du charme"("Good luck charm", encore un tube d'Elvis). Long Chris, lui, n'a pas la même tête d'ange que les deux précédents. Yeux de braise, joues creuses, visage en lame de couteau, Christian Blondiau est un pilier du Golf Drouot, le fameux dancing tenu par Henri Leproux. Il est aussi l'ami personnel de Johnny Hallyday. Toute l'Amérique l'intéresse : le rock, la mythologie du western et le cinéma d'Hollywood, il prend tout à bras-le-corps. Il baptise son groupe les Daltons et enregistre chez Pacific, puis chez Philips, quelques rocks comme "Je reviendrai" ou "Comme l'été dernier" et quelques chansons plus folk comme "La ballade de Jesse James". Long Chris raccourcira son nom en Chris au milieu des années soixante et deviendra un parolier brillant ("La génération perdue", "Je suis né dans la rue", "Gabrielle") pour son vieux copain (et gendre éphémère) Johnny.
L'époque est également traversée par des dizaines d'autres groupes, dont la durée de vie n'excédera pas un ou deux étés. Ainsi, les Pingouins, produits par Eddie Vartan, le frère de Sylvie, pour Decca. C'est aussi le cas des Champions, flanqués de l'excellent guitariste Claude Ciari et du chanteur Jean-Claude Chane. Leur version du "Jailhouse rock" d'Elvis ("Le rock du bagne") reste une des grandes réussites de ce début des années soixante.
Les Fantômes sont les héritiers français des grands groupes instrumentaux qui dominent les hit-parades de l'époque tels que les Shadows, les Spotnicks et le remarquable combo américain The Ventures.
C'est également le cas des Aiglons qui fondent leur style sur le son, révolutionnaire à l'époque, d'un orgue électrique. Le jeune Suisse Jean-Marc Blanc, accompagné de ses quatre copains, fait un malheur en France avec son inoubliable "Stalactite".
L'inventaire de ces groupes légendaires ne serait pas complet si j'ométtais de parler de El Toro et ses Cyclones au sein desquels un certain Jacquot (Jacques Dutronc) tient la guitare solo. Impossible, non plus, de passer sous silence le crooner rocker Lucky Blondo accompagné par ses Lucky Stars et tous les autres, Aristocrates, Rebelles, Tribuns, Milords, Loups Garous, Dauphins et autres Missiles... Mention spéciale pour Rocky Volcano, que lance Philips au début de 1961. Ce jeune Marseillais de 21 ans, un âge canonique pour l'époque, se retrouve, au verso de la pochette de son premier disque, rajeuni de deux ans et... fils d'un père sicilien et d'une maman américaine. Rocky se présente sur scène vêtu d'un costume lamé or et son groupe, les Rock'N'Rollers, surprend par son professionnalisme (ce sont, en fait, d'anciens musiciens de jazz). Ils enregistrent ensemble le fameux "Comme un volcan" qui reste un hymne indépassable à la violence de ces premières années soixante.
Mais tous ces groupes sont, par essence, fragiles. Et même si les plus connus, comme les Chaussettes Noires ou les Chats Sauvages, parviennent à donner l'illusion d'exister encore jusqu'en 1964 (déjà une autre époque), la réalité est beaucoup moins chatoyante. Peu soutenues par leurs maisons de disques, qui résilient leurs contrats dès que les ventes de disques baissent, démembrées par les départs incessants des uns et des autres pour le service militaire, les formations ne s'inscrivent pas durablement dans le coeur d'un public qui est déjà passé à autre chose. Les démêlés d'Eddy Mitchell "quittant ses Chaussettes", comme il le dit lui-même, ou le départ de Dick Rivers, laissant ses Chats tenter l'aventure avec le Toulousain Mike Shannon, creusent des traces indélébiles. La belle saga des premiers groupes français se termine en treillis, sous un drapeau français claquant au vent.
A leur retour, les jeunes artistes, dépassés par des rythmes qui ont changé et que leurs cadets maîtrisent mieux qu'eux, n'ont plus qu'à tenter de se recycler et assistent, impuissants, au renouvellement du "parc" rock français...
Corval
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