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Le rock français - partie 2 (1964-69)
On l'a vu dans la précédente partie, les rythmes ont changé et avec eux est née une nouvelle génération de groupe qui ont relégué l'ancienne à un rang obsolète.
C'est que l'environnement international s'est durablement modifié lui aussi. Elvis est devenu une vedette de cinéma; Jerry Lee Lewis est englué dans des scandales qui le dépassent; Chuck Berry et Little Richard sont, eux aussi, au creux de la vague. En France, les mutations s'accélèrent et la "casse" est considérable. Vince Taylor rate un énième retour au premier plan avec un nouveau groupe. Eddy Mitchell et Dick Rivers se lancent sérieusement dans une carrière solo. Johnny Hallyday grave d'ultimes "Rocks les plus terribles", avec Joey and The Showmen, avant de s'engouffrer, à son tour, dans un long tunnel de 14 mois de service militaire. Et seuls les yéyés, en cette période de transition, semblent avoir bon pied bon oeil.
C'est le moment que choisit une nouvelle génération pour pointer le bout de son nez. Ceux-là ne regardent pas du côté de l'Amérique mais de Londres. Leurs idoles s'appellent les Beatles, les Animals, les Kinks et les Rolling Stones. Ils portent des boots, de petits gilets de cuir et surtout... ils ont les cheveux longs ("comme les filles", se lamentent les journaux, reprenant leur délire de persécution là où ils l'avaient laissé en 1962).
La polémique (et l'aventure) repart donc de plus belle. Cette fois-ci, le nouveau porte-parole des jeunes gens en colère s'appelle Ronnie Bird. Il a mit au point un étonnant jeu de scène et multiplie les formations destinées à jouer à ses côtés. Il y aura les Stormbeats puis les Newbeats puis les Tarés puis les Poppies... Incontestablement, Ronnie (de son vrai nom, Ronald Méhu) domine la nouvelle scène. Il adapte à sa manière les succès des Pretty Things, des Stones ou des Hollies. Il impose le "style anglais" dans ces nouvelles boîtes où "ça chauffe" et qui s'appellent La Locomotive ou le Bus Palladium. Dans ce milieu des années soixante, la danse à la mode est le jerk. Le journal qu'il faut avoir dans la poche de son jean s'appelle Disco Revue.
Autre porte-étendard, ultra doué lui aussi, de cette génération très spontanée, Noël Deschamps, dont le groupe d'accompagnement, les Sharks, fait trembler les murs de tous les clubs parisiens de cette époque.
Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, ces musiciens surdoués, malgré leur solide réputation, n'arriveront jamais à s'imposer à la manière de leurs homologues d'outre-Manche. Ainsi, les Lionceaux, quatre garçons dans le vent venus de Reims et sacrés au Golf Drouot, s'emparent du répertoire des Beatles mais se révèlent incapables de triompher sur la durée. Entre deux concerts, ils accompagnent Johnny Hallyday qui enregistre, lui, "Le pénitencier", d'après la version de "The house of the rising sun" des Animals.
Les Sunlights viennent du Nord. Ils ont déjà une longue carrière derrière eux lorsqu'ils gravent leur version du "Déserteur" de Boris Vian, dans une tonalité folk-rock héritée de Bob Dylan et imposée en France par le troubadour Hugues Aufray.
Hector, lui, ne sort pas sans ses Médiators. C'est la version française des hurleurs fous qui arpentent l'Amérique à la manière de Screamin' Jay Hawkins ou secouent l'Angleterre, comme l'infernal Lord Sutch.
Hector porte chapeau claque, se rend en concert en fiacre et se fait récupérer par ses laquais lorsque la transe le laisse sans voix, les bras en croix sur la scène de l'Olympia.
Avec l'irruption en France du rhytm'n'blues dans l'hiver 65-66, les modes changent... et les artistes aussi. Vigon (Abdelghafour Mouhsine) accompagné par les Lemons arrive tout droit du Maroc. Le jeune Vigon accomode Little Richard à la sauce James Brown mais son show extatique ne dépassera guère la petite communauté rock de Paris. S'en était presque dommage...
Et c'est Nino Ferrer qui tire les marrons du feu, après quelques essais infructueux, reprenant la vieille recette, chère au duo Vian-Salvador, des musiques rythmées plaquées sur un texte humoristique. Au milieu des années soixante, La France entière court avec lui après sa "Mirza", dont la course est scandée par une excellente formation que Nino baptisera peu après la "bande à Ferrer".
Nino Ferrer est un des premiers à ne pas se considérer comme un chanteur accompagné par des musiciens cantonnés trois pas derrière lui. Il se présente comme le leader d'un véritable groupe, ce qui donne à ses prestations et à ses disques un impact visuel et sonore tout à fait considérable. Il poussera le processus jusqu'à son terme en enregistrant des disques instrumentaux avec son orchestre sous le nom de Gottamou (francisation un peu abrupte du "I gotta move" des vieux bluesmen américain).
Antoine, flanqué de ses Problèmes (futurs Charlots), adopte à peu près la même posture, la provocation physique en plus. Dans la France de la reconstruction et du gaullisme triomphant, les "Elucubrations" du beatnik échappé de Centrale sèment une véritable panique. Et, à nouveau, les fauteuils de l'Olympia vacillent. Antoine introduit la "contestation" dans la culture française (non-violence, amour libre, conscience "de gauche", esprit libertaire et antimilitariste) soutenu, en cela, par Michel Polnareff dont la chanson "L'amour avec toi" fait scandale. C'est l'ère du "look" Mod venu de Canarby Street, de la mini-jupe, des chemises à fleurs et des pantalons patte-d'éléphant. C'est aussi l'époque des doux délires plus ou moins inspirés par certaines fumées interdites (qu'on dit "psychédéliques"), de la guerre du Viêt-nam et de l'accession des femmes à la pilule.
Au milieu de ces chanteurs plus ou moins solitaires, quelques groupes parviennent à imposer leur style.Ainsi les 5 Gentlemen, de Marseille, et leur fameux "Dis-nous Dylan" ou encore le King Set dont le chanteur, Michel Jonasz (ex-Lemon), sera l'une des grandes voix de la décénnie suivante.
Les groupes français de ces remuantes sixties, qui se baptisent Boots, Pollux, Rockers, Anonymes et autres Sinners, n'auront pas eu de chance, au bout du compte. Trop jeunes, trop purs, trop peu malléables, trop inconscients des exigences d'un métier particulièrement difficile, ils ne réussiront guère à se maintenir sur la durée. Et il faudra attendre la toute fin des sixties pour voir enfin des formations s'imposer au-delà d'un ou deux 45 tours.
Les Variations, Triangle, Zoo, Ange ou Martin Circus auront un peu plus de chance. Et la génération punk/new wawe (Téléphone, Star-shooter, Indochine puis Noir Désir) plus de chance encore.
Il n'en reste pas moins vrai que la nostalgie Chaussettes Noires, Chats Sauvages ou Danny Boy et ses Pénitents n'a jamais cessé d'agir. Curieuse destinée que celle de ces formations, qui auront produit et vendu plus de disques après leur éclatement qu'avant, et dont la notoriété n'aura duré que quelques mois. Quelques mois de leur "vivant" et, depuis leur disparition, c'est plus de quarante ans d'existence virtuelle, au gré de rééditions nombreuses et multiformes.
Cette fascination pour ces artistes, qui ont traversé le ciel des stars à la vitesse des comètes, n'en finit pas de durer et de hanter la bande FM. Elle nous rappelle qu'une génération, celle des enfants d'Elvis et de James Dean, a cru, le temps d'une danse, à une musique-potion magique qui donnerait la jeunesse éternelle.
Corval
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