• Il est des artistes qui vendent autant de disques post-mortem que vivant. Joe Dassin est de ceux-là : superstar internationale dans les années 1960 et 70, et l’un des rares chanteurs français à percer massivement à l’étranger, les compilations, rééditions et hommages à son œuvre sortent encore régulièrement trente ans après sa disparition.


    Joseph Ira Dassin voit le jour le 5 novembre 1938 à New York. Fils d’une violoniste classique hongroise,Béatrice Launer, et du réalisateur Jules Dassin.
    En 1950, Jules Dassin et sa famille s’embarquent pour l’Europe, direction Paris. Si sa petite famille s’installe au cœur de la capitale, Joseph, lui, est envoyé dans divers pensionnats huppés en Suisse et en Italie. Il n’est scolarisé en France qu’en 1954.
    Inscrit en ethnologie dans une faculté parisienne, il s’avère un étudiant assidu et commence déjà à chanter et à jouer de la guitare tout en multipliant les jobs d’étudiants. Joe ne s’intéresse pas au cinéma, en revanche, il accepte de composer quelques chansons qui figureront dans les bandes originales de certains métrages paternels.
    Son doctorat d’ethnologie en poche, il sert d’assistant pour son père sur le désormais classique Topkapi, mais – souhaitant voler de ses propres ailes – il prend ses distances avec les activités paternelles et devient journaliste à Play-Boy et animateur à Radio Luxembourg (future RTL), multipliant les piges. En 1963, il rencontre Maryse dont il tombe amoureux et avec qui il emménage chez sa mère. Une amie de Maryse travaillant alors chez CBS est séduite par les compositions du jeune homme. 
    Si son premier disque avec « Je change un peu de vent » (février 65) est un flop, il permet à Joe Dassin de rencontrer le parolier Jean-Michel Rivat, qui va le suivre toute sa carrière. En mai 1965, Dassin retourne en studio et enregistre un nouvel EP 4-titres avec des standards américains adaptés pour un public français, c’est à nouveau un échec.
    Joe Dassin et Rivat concentrent leur énergie sur la reprise d’une petite ritournelle cubaine, « Guantanamera » (novembre 65, couplée à « Bip-bip »). Ce morceau est le carton qui permet à Joe Dassin de percer et d’obtenir la reconnaissance des radios et du public. L’année suivante, il épouse Maryse en petit comité. Les reprises étant à la mode, et Londres s’étant imposée comme la capitale musicale, c’est là-bas que Dassin se rend pour enregistrer « Ca m’avance à quoi ? » la version française de « You Were On my Mind » (de Ian & Sylvia). A New York sort en 1966.
    Ayant accouché d’une petite ritournelle amusante intitulée « Les Dalton » (mai 67), il compte en faire cadeau à Henri Salvador, mais CBS le persuade de la conserver pour lui. Excellente suggestion car le morceau est le premier très grand succès de Dassin.
    Mais la fin des années 60 voit aussi la mode des reprises et des adaptations s’essouffler. Mai 68 contribue à ringardiser les Yé-yés, rejetés par la jeunesse. Ça tombe très bien pour Joe Dassin, dont les chansons « naturelles », accompagnées à la guitare sèche, correspondent parfaitement à l’esprit de l’époque. « Marie-Jeanne » (d'après le fameux « Ode to Billie Joe » de Bobby Gentry) et l'original « Tout bébé a besoin d’une maman » en octobre 67, « La Bande à Bonnot », et « Siffler sur la colline » début 68, « Ma Bonne étoile » puis « Le Petit pain au chocolat »  fin 68, sont autant de tubes qui plaisent à une large frange de la jeunesse de l’époque.
    En mars 1969, il retourne à Londres pour mettre en boîte ce qui deviendra l’un de ses succès planétaires : « Les Champs-Élysées », à l'origine une face B de 45-tours, adaptation d'un hit des plus obscurs qu'il transforme en or, « Waterloo Road »
    d'un certain Jason Crest. Présent sur Le Chemin de Papa (1969), « Les Champs-Élysées » en devient le titre-phare et un succès mondial, que ce soit dans sa version française, anglaise, italienne ou même allemande.
    Ultra perfectionniste, l’artiste ne laisse rien au hasard et l’année suivante, sortent « L’Amérique » Yellow River » du trio Christie) et « Cécilia » (de Paul Simon) deux nouveaux hits qui lui valent la reconnaissance du public international, assortis d'un album avec d'autres succès : « La Fleur aux dents », « L'Equipe à Jojo » (mai 1970).
    Après un petit passage à vide d’un an et un album peu remarqué, Elle Etait Oh... en 1971, Joe Dassin fait son grand retour sur la scène sur les conseils de son épouse, afin de reprendre contact avec le public. « Taka Taka Ta » (mai 72) est son tube du moment. Les tubes s'empilent encore, « A vélo dans Paris », « Le Moustique » (le « Mosquito » des Doors, mars 73), et « Salut les amoureux» City of New Orleans » d'Arlo Guthrie) qui sont des succès instantanés.
    Malheureusement, en 1973, sa femme donne naissance à un fils, Joshua, qui meurt quelques jours après l’accouchement. Anéanti par cette nouvelle, Joe Dassin déprime avant de se motiver pour retrouver le chemin des studios. Mais l’album qui sort de cette période est un échec (Treize Nouvelles Chansons). A contrario, c’est en composant quelques chansons légères et un peu paillardes pour Carlos qu’il réussit à retrouver le goût de la vie. Pourtant, conscient de  devoir rebondir pour ne pas être oublié du public, il réussit avec son ami le parolier Pierre Delanoë à écrire le tube qui signera son grand retour : « L’Eté indien », paru en juin 1975 (l'original : « Africa» de Albatros). Succès international à nouveau pour Joe Dassin qui n’oublie pas d’en adapter plusieurs versions dans différentes langues. Désormais, le seul nom de Dassin est synonyme de succès garanti, comme en témoignent ses deux grands 45-tours de l'année 1976 : « Ca va pas changer le monde » et « Et si tu n'existais pas ».
    En 1976, sa collaboration avec les Italiens Toto Cutugno et Vito Pallavicini ajoute un nouveau tube au répertoire déjà bien garni de l’artiste : « Le Jardin du Luxembourg », chanson originale de 12 minutes dont plusieurs remixes sont aussitôt tirés. Appelant autour de lui des compositeurs comme Toto Cutugno, William Sheller ou Didier Barbelivien, Dassin continue à multiplier tubes et tournées.
    Ne voulant absolument pas se faire dépasser par la génération montante, il se montre des plus prolifique et sort Blue Country à l'été 1980. A force de trop travailler et de multiplier la fatigue physique et les tournés (sans compter l’alcool et le tabac), Dassin épuise rapidement son corps. Plusieurs infarctus l’obligent à des soins médicaux fréquents. Contraint par son entourage à prendre du repos, l’artiste se choisit une villégiature à Tahiti. Mais son corps, affaibli par tous ses excès, est au bout du rouleau. Le 20 août 1980, alors qu’il déjeune dans un restaurant de Papeete, une crise cardiaque l’emporte. 
    Dès sa disparition, les compilations affluent. Depuis, le nombre de rééditions, compilations, hommages, remixes, rééditions CD, puis DVD devient exponentielle. En 1995, Joe Dassin est, avec Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman, l’artiste francophone qui vendit le plus de disques en France. Alors qu'il est déjà mort depuis quinze ans.


    ____________________________________Corval & B. D'Alguerre


    votre commentaire
  • Soixante-huit ans de carrière ! Alors que de nombreuses légendes de la chanson font figure de météores, la longévité de Maurice Chevalier laisse rêveur. Sans doute la devait-il entre autres à sa double casquette, grand écart entre son image française de « Français moyen » et celle internationale de « French lover ». De ce malentendu naît ce qui fut une manière d’universalité de Maurice Chevalier. Les jeunes français des années 1960 qui gardent le souvenir d’un papy désespérément franchouillard ne se souvenaient guère de l’aura de séducteur de Chevalier, tombeur gouailleur en France, classe parisienne incarnée outre-atlantique, mais toujours insubmersible. « Vous, les américains, vous admirez La Fayette et Maurice Chevalier, alors que ce sont les plus cons de tous les français ! » disait Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle. C’est peu dire qu’entre Chevalier et les jeunes branchés de l’époque s’était installée une certaine incompréhension: la résistance à toute épreuve du papy à canotier avait fini par rendre sa présence un peu lassante, mais l’étude de sa carrière suffit largement à expliquer son caractère insubmersible.

    Né le 12 septembre 1888 à Paris, ou plutôt à Ménilmontant (« Ménilmuche » comme on disait alors), le futur monstre est issu d’une famille populaire : son père, peintre en bâtiment, ayant rapidement quitté le domicile conjugal, le petit Maurice sera surtout proche de sa mère, Joséphine Van Den Bosch, d’origine belge. Obligé à 10 ans de quitter l’école pour travailler, il se frotte à divers emplois mais s’intéresse rapidement au spectacle.
    D’abord attiré par le cirque, il doit abandonner sa vocation d’acrobate à la suite d’une blessure. Ne souhaitant pas renoncer au monde du spectacle, l’enfant choisit de se tourner vers la chanson et court rapidement les café-concerts et les salles de spectacle à la recherche d’engagements souvent chichement rémunérés. Maurice appuie ses effets humoristiques pour compenser une voix qui n’a rien de renversant et obtient quelque succès grâce à ses imitations.  Décrochant une audition publique au Casino des Tourelles, il commence à se faire un petit nom et adopte son costume archétypal de dandy « popu », à costume et canotier. Mais ses débuts sont laborieux et le tout jeune chanteur doit affronter plusieurs échecs avant de triompher en 1905 à l'Alcazar de Marseille.
    Maurice Chevalier revient en vainqueur à Paris : désormais lancé, il entretient sa notoriété naissante en apparaissant dans des films muets et obtient en 1909 le premier rôle dans une revue des Folies Bergères. Fluet, il se fortifie par le sport, apprend les claquettes, devient un danseur hors-pair. Sa réussite professionnelle s’accompagne d’un appui sentimental de poids : le jeunot est en effet devenu le compagnon de la chanteuse Fréhel, reine de la chanson réaliste. Mais cette liaison s’avèrera à double tranchant : Fréhel, prisonnière de l’alcool et de la drogue, entraîne son jeune amant dans la consommation de stupéfiants, dont il ne parvient à se libérer qu’en coupant court à leur liaison.
    Maurice Chevalier ne va pas tarder à se lier avec une autre reine du music-hall : Mistinguett, de treize ans son aînée, entame avec lui une longue histoire d’amour qui se doublera d’un partenariat à la scène. Le couple triomphe dans le numéro « La Valse renversante », aux Folies Bergères et « a Miss » achève de faire de son jeune amant, auquel elle apprend toutes les ficelles du métier,  une vedette accomplie. 
    En 1913, Chevalier part faire son service militaire. Un an plus tard, la Première Guerre mondiale éclate : Maurice Chevalier est blessé et capturé. Prisonnier en Allemagne, il est libéré deux ans plus tard grâce à l’intervention de Mistinguett qui a su faire jouer ses relations et revient magistralement sur le devant de la scène. Le couple va au front soutenir le morale des troupes. En 1917, Chevalier devient la vedette du Casino de Paris et se produit devant des soldats anglais et américains, ce qui lui donne l’occasion de découvrir la culture anglo-saxonne. S’intéressant au jazz et au ragtime, il enrichit son répertoire et commence à penser à l’international, d’autant que son emprisonnement lui a donné l’occasion d’apprendre l’anglais.  Désirant apparaître comme autre chose que le « protégé de Mistinguett », il finit par rompre avec sa protectrice pour voler de ses propres ailes.
     Au début des Années folles, Maurice Chevalier est partout et triomphe grâce aux chansons que lui écrit Albert Willemetz : « Dans la vie faut pas s'en faire » (1921), « Valentine » (1924). Le phonographe, désormais démocratisé, relaie ses succès auprès de la France entière. L’opérette Dédé (1922) est un triomphe qui l’amène à tenter l’aventure américaine : mais Chevalier échoue à exporter le spectacle à Broadway et rentre en France la queue entre les jambes. Revigoré par son nouveau mariage, il renoue rapidement avec le succès, mais n’a pas dit son dernier mot : les débuts du cinéma parlant lui donneront une nouvelle occasion de tenter sa chance à Hollywood, où son impossible accent frenchy des faubourgs passe paradoxalement pour le summum de la classe.
    Entré sous contrat avec les studios Paramount, il se trouve même tenu par une clause de garder son accent français. Il tourne dix films aux Etats-Unis, dont le plus connu restera La Veuve joyeuse  d’Ernst Lubitsch (1934), qu’il tourne en double version, française et anglaise. Chevalier mène aux Etats-Unis une vie de star à part entière, son mariage ne résistant guère à une liaison avec Marlène Dietrich. En 1935, passé à la MGM où sa carrière américaine marque un peu le pas, Maurice décide de renouer avec le public français et fait salle comble dans des revues comme Paris en joie
    ou Amours de Paris. Les années 1930 le voient connaître ses plus gros succès, avec les chansons « Prosper » (1935), « Ma Pomme » (1936), « Ca fait d’excellents français » (1939), portraits de personnages croquignolets de la France d’alors ou odes à la joie de vivre et à la débrouillardise françaises.
    Durant l’Occupation, Maurice Chevalier continue sa carrière : installé à Cannes avec sa compagne la danseuse juive Nita Raya, dont il aidera les parents à se cacher, il risque un retour dans la capitale occupée pour les besoins de la revue Bonjour Paris. Admirateur de Pétain (comme la majorité des français en 1940), il refuse l’offre des Allemands de se produire à Berlin ou sur les ondes de Radio-Paris, média collaborationniste. A la demande de Pétain, Chevalier se produit néanmoins en Allemagne dans un camp de prisonniers français, de manière tout à fait bénévole « just to entertain ze boys » et en échange de la libération de plusieurs détenus. Son attitude sera néanmoins jugée ambiguë par le Comité d’épuration et, en 1944, Chevalier est contraint de se cacher. Grâce au soutien de plusieurs personnalités artistiques et intellectuelles, il revient la même année sur le devant de la scène, entièrement réhabilité. Mais son image dans les pays anglo-saxons en souffre quelque peu et la Grande-Bretagne lui refusera pendant plusieurs années l’entrée sur son territoire.
    Après une rentrée en 1945 sur la scène parisienne, Maurice Chevalier fait également son retour au cinéma, en tournant en Le Silence est d’or de René Clair, qui sera un grand succès de l’année 1947. Il fait également son retour sur la scène américaine, prouvant que l’approche de la soixantaine n’a en rien entamé son allant. Mais, après le nazisme, c’est une autre idéologie totalitaire qui va indirectement handicaper sa carrière : ayant signé l’appel de Stockholm, pétition initiée par le PCF contre l'armement nucléaire, Chevalier est catalogué par le gouvernement américain comme sympathisant communiste et se voit refuser pendant plusieurs années l’accès au territoire des Etats-Unis. Il continue de se produire dans le monde entier mais sa relation avec le public américain semble ternie, son come-back américain de 1955 ne remportant qu’un succès moyen.
    Mais deux ans plus tard, Billy Wilder le relance en lui confiant l’un des rôles principaux de son film Ariane, avec Audrey Hepburn et Gary Cooper. L’année suivante, c’est Vincente Minnelli qui l’engage dans Gigi comédie musicale inspirée de Colette, où il se joint aux autres frenchies d’Hollywood Leslie Caron et Louis Jourdan pour incarner la classe et l’élégance française. Au milieu de la moisson d’Oscars remportés par le film, Chevalier se paie le luxe d’une récompense pour sa « contribution de plus d'un demi-siècle au monde du spectacle ». En 1961, il reprend le rôle de Panisse dans Fanny , remake américain de la trilogie de Pagnol, honni en France mais adoré aux Etats-Unis qui ne s’offusquent guère de voir un Parisien archétypal jouer un rôle de Marseillais. Le « French lover » de Ménilmuche ne s’arrête plus : statufié de son vivant, littéralement dopé, boulimique de travail, il continue de publier à toute allure des volumes de souvenirs – qui donneront au total une autobiographie en dix tomes -, tourne au cinéma, se produit dans le monde entier, est reçu à déjeuner par le Général de Gaulle.
    L’âge venant, Chevalier pense néanmoins à sa retraite, qu’il mettra en scène de manière spectaculaire : en 1967, il entame une tournée mondiale qui s’achèvera à Paris pour son quatre-vingtième anniversaire.  Après cette apothéose, Maurice se retire de la scène. Il meurt le 1er janvier 1972. Que l’on aime ou que l’on honnisse Maurice Chevalier et le cliché du français gouailleur et gentiment fantaisiste qu’il véhiculait en toute conscience, l’artiste n’en aura pas moins été l’une des images les plus endurantes et archétypales d’une certaine France à l’accent parigot délicieusement désuet. Plus qu’un véritable créateur ou un interprète indémodable (sa version de « Y’a de la joie » a davantage vieilli que celle de Charles Trénet et son accent outré a donné un gros coup de vieux à ses chansons en anglais), Chevalier était avant tout un personnage, dont le caractère endurant et l’image intemporelle ont pu survivre à ce que son répertoire peut aujourd’hui avoir de désuet. Survivant de la Belle-époque et des Années folles, Chevalier, à défaut d’être vraiment immortel, aura su d’une certaine manière incarner le passage d’un siècle.


    ___________________________________Corval & N. Malliarakis


    votre commentaire
  • Des parents unis et tendres, une sœur jumelle Liliane, deux aînés : Marcel (qui décèdera à l'âge de seize mois) et Jacqueline née un an avant lui, auraient pu faire de Lucien un enfant épanoui et heureux. C'est oublier les complexes dus à son physique et à sa timidité, mais aussi à un certain sentiment de superiorité, qui très tôt le mettront à part, à l'écart des autres...

     

    ll naît le 2 avril 1928, à Paris, de Joseph Ginsburg et d'Olia Bessman. D'origine russe, le couple a fui la révolution bolchevique de 1917 pour venir s'installer à Paris avec les difficultés que connaissent tous les immigrés... Dès leur arrivée, Joseph gagne sa vie en jouant du piano dans les cabarets. Il connaît Gershwin, Chopin, Bach, Vivaldi, sur le bout des doigts, mais pour faire vivre sa famille il joue du jazz. Fou de musique classique, fou de peinture. Il ne rate aucun concert, aucune exposition. Il intéresse ses enfants à ses passions, et Paris regorge de sorties plus intéressantes les unes que les autres. Mais depuis sa fuite de Russie, il ne peint plus... Olia, est une mère, tendre et gaie, qui fait régner une douce harmonie et qui console souvent le petit Lucien lorsqu'il a reçu une correction paternelle. C’est que Joseph a parfois la cravache facile avec lui plus fréquemment qu'avec les filles.
    La famille habite dans le 9ème arrondissement de Paris, rue Chaptal, là, Lucien apprend le piano avec son père.

    En 1941, Lucien est en 5ème, il a 13 ans, Joseph, qui avait juré de ne plus jamais toucher un pinceau, l'emmène dans une académie de peinture à Montmartre, pour suivre les cours de deux vieux postimpressionnistes, Camoin, et Jean Puy. Quelques mois plus tard Lucien tombe gravement malade, il est atteint d’une péritonite tuberculeuse, mortelle à 99% à l'époque, et ne peut pas s'inscrire à la rentrée en 4ème, il faut l'envoyer à la campagne respirer le bon air, pour le soigner. Toute la famille part dans la Sarthe à Courgenard, lui y restera plusieurs mois seul et s'occupera en faisant quelques dessins. A son retour, Joseph est allé chercher les 5 étoiles jaunes qu'ils accrocheront sans les coudre sur leurs manteaux. Se soustraire au port de l'étoile est très risqué, mais pas question pour les Ginsburg de se priver d'une sortie culturelle, Olia a donc inventé un astucieux stratagème pour les accrocher avec des épingles dissimulées, de manière à pouvoir les ôter le soir, et continuer à vivre normalement.

    Ses premières chansons, Serge les composera vers l'age de 22 ans quand il occupe la fonction "d'éducateur" pour les enfants juifs et les jeunes rescapés des camps nazis, au centre de Champsfleur. Venu là dans un but purement alimentaire, il se prend au jeu, fait dessiner les enfants, leur fait des tours de magie, s'occupe de la chorale, il se montre doué pour captiver les jeunes pensionnaires. Il organise des veillées où il s'accompagne à la guitare et chante des chansons qu'il a lui-même composées.

    En 1952 il recommence le circuit des boites et des bals, il s'éloigne de la peinture, se fait du "blé" en coloriant des photos noir et blanc pour les entrées de cinéma et peint des fleurs sur les meubles anciens pour en faire de faux Louis XIII…
    Joseph voit tous ses espoirs s'effondrer.

    Pendant les vacances de Pâques 1954 il est engagé comme pianiste d'ambiance au Touquet, il verra son contrat renouvelé l'année suivante. C'est là qu'il rencontrera son futur arrangeur, Alain Goraguer.
    En septembre il est embauché au cabaret Madame Arthur (cabaret fameux pour ses travestis) comme pianiste et chef d'orchestre puis son père lui décroche un autre engagement au Milord l'Arsouille.
    Un soir, il y rencontre Boris Vian : "C'est en l'entendant que je me suis dit : je peux faire quelque chose de cet art mineur ?". "Je pense que Serge et Boris sont frères quelque part : une même violence, une même retenue, un même mystère. Frères dans la dérision, la cruauté et la tendresse." dira Juliette Gréco.

    "Ce coup là, je change de nom. Lucien commençait à me gonfler, je voyais partout "Chez Lucien coiffeur pour hommes", "Lucien, coiffeur pour dames". […] Sur le moment, Serge m'a paru bien, ça sonnait russe; quant au 'a' et au 'o' rajoutés à Ginsburg, c'est en souvenir de ces profs de lycée qui écorchaient mon nom…".

    Il ne supportait plus son prénom, mais ne voulait pas pour autant renié ses origines, finalement il opte pour "Serge" (comme Serge Diaghilev, Serge Lifar), mais il conserve une grande similitude pour son nom, dans le but plus ou moins inconscient de ne trahir ses parents qu'à demi.

     

    1959 est marquée par sa rencontre avec Boris Vian et Juliette Gréco. Elle s'intéresse à ses compositions et se trouve désignée pour lui remettre le grand prix du disque de l'Académie Charles Cros, le 14 mars. Malgré cette distinction, et l'enregistrement d'un deuxième album chez Philips, le succès se fait attendre. A partir de Mars il entame une tournée en province et en Italie, toujours avec Opus 109, qui sera un bide complet. Ses compagnons, Brel, Béart, Simone Langlois découvriront Rome, Florence, et l'histoire de la peinture, grâce à lui, guidés par son érudition, et sa passion pour cet art "majeur". Au printemps il enregistre son 2ème album, Claqueur de doigt, avec Alain Goraguer et son orchestre. Sur la pochette, on le voit prêt à tout, avec à portée de main, un bouquet de roses et un pistolet. "Celles à qui plairont mes chansons je leur envoie des fleurs, dans le cas inverse je fais marcher le pétard", précisent les notes de pochette, et le succès se fait attendre. D'autant que Boris Vian, mort brutalement en cette année 1959 à l'age de 39 ans, n'est plus là pour le défendre. En septembre Gainsbourg croise Brigitte Bardot en participant au tournage du film : Voulez-vous danser avec moi ? Il avait été choisi pour son physique grâce à la pochette de son disque.

     

    Son premier succès L'eau à la bouche sort en janvier 1960 avec 100.000 exemplaires vendus.
    Il n'abandonne pas pour autant le circuit des cabarets,
    et heureusement pour lui, on commence à l'apercevoir à la télévision de temps en temps. Mais, il souffre d'être différent. De n'appartenir ni au mouvement yéyé, symbolisé par Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Claude François, Françoise Hardy, Richard Anthony... ni au rock américain dont s'inspirent Les Chaussettes Noires ou Les Chats Sauvages. Il ne trouve pas sa place et sa maison de disque ne se prive pas de le lui dire ! Philips lui reproche de ne pas être "dans le vent" s'ensuivent 6 mois de dépression pendant lesquels il ne pourra plus écrire une seule ligne. Et pourtant dans un Discorama de juin 63, Serge va ignorer cette déferlante yé-yé et reprendre confiance en lui : "La nouvelle vague, je dirai d'abord que c'est moi. Nouvelle vague veut dire qui est à l'avant- garde de la chanson.[…] Je ne tiens pas à mettre des "y" dans mon pseudonyme. […] … Mais ça ne me dérange pas. Je pratique un autre métier, ça (les yé-yé) c'est de la chanson américaine. De la chanson américaine sous-titrée. Moi c'est la chanson française. La chanson française n'est pas morte, elle doit aller de l'avant et ne pas être à la remorque de l'Amérique. Et prendre des thèmes modernes. Il faut chanter le béton, les tracteurs, le téléphone, l'ascenseur… Pas seulement raconter, surtout quand on a dix huit ans qu'on se laisse, qu'on s'est quittés…
    J'ai pris la femme du copain, la petite amie du voisin… ça marchera pas. Il n'y a pas que ça dans la vie quand même.
    Dans la vie moderne il y a tout un langage à inventer. Un langage autant musical que de mots. Tout un monde à créer, tout est à faire. La chanson française est à faire. Il faut plaire aux femmes d'abord puisque c'est la femme qui applaudit et le mari suit"
    . Amoureux, Serge doit l'être puisqu'il convole en justes noces, le 5 janvier 1964 avec une femme d'une grande beauté, Françoise Antoinette Pancrazzi, dite Béatrice. Au retour de son voyage de noces, Serge entame la promo de son album charnière, au style épuré et dépouillé. Mais les ventes ne vont pas dépasser les 1.500 exemplaires.

    En 1966 Serge divorce de Béatrice puis se remet en ménage avec elle alors même que le divorce vient d'être prononcé. Il passe l'été 1967 à Belle-Île-en-Mer avec Béatrice et Natacha. Son nouveau super-45 tours est publié en janvier 1966, dès le mois de mars il va se retrouver en tête des hit parades, Serge obtient enfin le succès et bénéficie du coup d'une certaine idolâtrie. C'est le 12 avril de cette même année que le photographe Jean-Marie Perrier met en scène la fameuse "photo du siècle" pour le magazine Salut les copains en réunissant 47 vedettes de la génération yé-yé, dont Gainsbourg. Dans un collector sorti à cette occasion, on apprendra que la boisson préférée de Gainsbourg est le Bourbon au ginger ale, son hobby, les filles, son peintre favori Paul Klee, ses musiciens, James Brown et Igor Stravinsky, qu'il aime lire Nabokov. En mai Serge participe au nouveau Sacha Show, il compose pour Michèle Arnaud et pour son fils Dominique Walter, pour Mireille Darc et pour Serge Reggiani (un album exclusivement consacré à Boris Vian) et une comédie musicale Anna qui ne fut rediffusée à la télévision qu'en 1990.

    "C'est à cette époque-là que j'ai battu mon record d'insomnies voulues, dit-il, je n'ai pas dormi pendant huit jours. La nuit je composais la musique de ce qui allait être enregistré le lendemain. Le matin j'étais aux sessions en studio et l'après-midi je tournais […] Après ça, j'ai dormi 48 h non-stop".

    Il est très déprimé, très affecté, voire suicidaire. Il se retranche dans son pavillon de la rue de Verneuil, mais il s'affiche rapidement avec de jolies femmes et pousse le cynisme jusqu'à tenir un carnet dans lequel il leur attribue une note. Il ne s'attache à aucune. Il tourne aussi beaucoup pour le cinéma. C'est en tournant les essais pour le film de Pierre Grimblat, Slogan que Serge rencontre celle qui va désormais marquer sa vie professionnelle et personnelle, Jane Birkin.
    Elle a alors 20 ans, un bébé sur les bras, Kate, et vient de divorcer de John Barry, compositeur oscarisé.
    La prise de contact se passe très mal, Serge lui reproche de ne pas savoir parler un mot de français, elle se met à pleurer, il attendait Marisa Berenson pour lui donner la réplique, peut-être pour la séduire aussi, et il se retrouve face à une gamine inconnue ! Mais, en peu de temps, ils vont s'apprivoiser pour ne plus se quitter pendant près de douze ans. En aout, Jane part à Saint-Tropez pour le deuxième rôle féminin du film La Piscine, avec Maurice Ronet, Alain Delon, et Romy Schneider.
    Jane Birkin se souvient :

    "Serge était jaloux de Delon, il le trouvait trop beau ! A Nice il a réussi à louer une voiture quatre fois plus grande que celle d'Alain.[…] Dans cette énorme limousine, très flash, on était obligés de pendre les couches de ma fille Kate, et puis il y avait le landau et la nurse, et Serge gémissait :
    "Ma belle voiture ! on dirait une caravane arabe ! …"

    De son côté, Françoise Hardy attend Serge à Paris pour travailler avec lui, après lui avoir écrit le texte magnifique de L'anamour. Serge accepte de mettre ses mots sur une musique composée par un autre, ça sera l'énorme tube du tout début 1969 : Comment te dire adieu.

    Serge et Jane partent au Népal tourner un film pour Cayatte : Les chemins de Katmandou. A leur retour ils s'installent au 5 bis rue de Verneuil, avec Kate Bary, la première fille de Jane, dans cette maison noire du haut en bas, véritable musée imaginaire, fouillis d'objets hétéroclites et précieux. A la fin de l'année 1968 ils enregistrent ensemble, à Londres au studio Chappell, une nouvelle version du sulfureux Je t'aime moi non plus. Cette fois, le disque est commercialisé et la version de Gainsbourg / Birkin devient célébrissime, elle fait le tour des discothèques d'Europe et d'outre Atlantique... Cependant, de nombreux pays interdisent le titre et Gainsbourg lui-même décide de le retirer du premier album qu'il sort avec sa nouvelle compagne.
    Serge et Jane deviennent un couple hautement médiatique, une période riche et heureuse commence enfin pour lui qui reprend goût à la vie et à la création. Il se consacre à sa vie personnelle stabilisée, et suit sa compagne sur la plupart de ses tournages.

     

    Le 15 mai 1973, il a 45 ans, Serge bénéficie de son premier sursis, première crise cardiaque : Il parvient à s'abstenir d'alcool et de tabac pendant les six à huit semaines qui suivent son hospitalisation... pas plus. Sent-il que l'étau ne va pas tarder à se resserrer ?

    Dans un entretien accordé à Michel Lancelot au mois de septembre, il fait le point :

    "Quand tout va mal il faut chanter l'amour, le bel amour et quand tout va bien chantons les ruptures et les atrocités. Elle est la fille que j'attendais. Ça ne s'est pas su comme ça au départ, il y a eu une mutation en moi. Je pense qu'elle est la dernière, si elle me quitte… J'aime cette fille, je peux le dire, j'ai jamais dit ça de personne. […] J'avais quelques amis, j'en aurai un peu moins. Je deviens un peu plus difficile. J'étais déjà misogyne, je deviens misanthrope. Vous voyez, il ne me reste pas grand chose, mais il me reste des choses essentielles comme mes enfants, ma femme et la création. Ça continue. Avec l'esprit plus lucide et les mains qui ne tremblent plus, enfin presque plus. L'apport de l'alcool et du tabac sur l'intellect, pour moi, c'était très nocif. J'étais tellement saturé que je restais des nuits entières sans rien trouver. J'allais assez vite… donc j'ai vu beaucoup de paysages défiler mais j'ai accroché un platane, alors maintenant je sais que je suis légèrement blessé au cœur, j'espère que c'est pas très grave, que je pourrai survivre".

    Fin septembre, il enregistre Vu de l'exterieur

    En avril 1974, pour la première et dernière fois de sa vie, Serge appose sa signature sur un appel à voter pour un candidat, en l'occurrence : Giscard d'Estaing.

    "Si j'ai soutenu Giscard, dira-t-il un an plus tard, c'est pour des raisons avouables. Je n'ai aucune sympathie pour Mitterrand. Il s'est mouillé dans le passé dans des positions trop équivoques […] Depuis longtemps, j'avais repéré Giscard d'Estaing comme un homme intègre et brillant. C'est tout… Je dois ajouter qu'il y avait pas mal de provocation volontaire dans mon choix, chose que je n'avais plus faite depuis longtemps".
    Puis il avouera plus tard : "Ben… j'ai fait une connerie. Je trouvais que Giscard était un bon ministre des Finances, un très bon lieutenant-colonel. Il s'est avéré qu'il était un piètre général".

     

     

    En janvier 1980, il donne 2 concerts à Bruxelles, véritables triomphes. Même succès à Cannes, au Midem où Europe 1 et Philips lui décernent disque d'or et disque de platine. Il publie un comte parabolique, Evguénie Sokolov. Gainsbarre a t'il détruit Gainsbourg ? La gloire a t'elle détruit le couple mythique ? En tout cas, Serge paye cher le prix de ses excès. Jane, le quitte en aout 1980, emmenant les filles Kate, et Charlotte. Au bout de 12 années de vie commune, ne supportant plus de le voir se détruire et se perdre, elle déserte la rue de Verneuil et le laisse plus désemparé que jamais. Son chagrin est immense, il crève de ne plus voir ses enfants, il touche le fond. Il se jette dans le travail : un album pour Jacques Dutronc, Guerre et pets, la musique du film de Claude Berri Je vous aime et un rôle aux côtés de Catherine Deneuve qui rappelle inévitablement son propre rôle. Pour Catherine il écrit Dieu est un fumeur de havanes qu'il interprètera avec elle.

    En 81, il lui écrit un album entier, Souviens-toi de m'oublier que Libération chroniquera quelques mois plus tard, assorti d'un calembour à la Gainsbarre : "Deneuve ? non, D'occase !". La réaction de Catherine à cette grossièreté sera télégraphique et sans appel : "Vous ne serez jamais assez ivre à mes yeux pour justifier vos jeux de mots à Libération STOP Il faut savoir résister à certaines tentations STOP Vous ne pourrez jamais noyer vos regrets et malgré vos triomphes je sais que vous êtes inconsolable pour des raisons qui ont cessé de m'intéresser STOP J'avais de l'affection pour vous mais plus d'indulgence serait complaisant".

    Nouveau scandale, en janvier 82 lors de l'émission Droit de réponse animée par Michel Polac et consacrée à la mort de Charlie Hebdo, où Serge s'exhibe affublé d'un long ballon de baudruche qui sort de son pantalon tel un sexe démesuré, les chaises volent ainsi que les injures, Gainsbarre prend le pas sur Gainsbourg, le lendemain l'animateur fait des excuses au journal de 13 heures.

    Depuis un an, il enchaîne les spots publicitaires, Brandt, Roudor Saint Michel, plus tard Lee Cooper, la Renault 9, les soupes Maggi. Il écrit des chansons pour Julien Clerc, Diane Dufresne.
    En mai 1982 Pierre Lescure, directeur des programmes de variétés à Antenne 2, lui remet un disque d'or pour Mauvaises nouvelles des étoiles. Puis Serge part dans la jungle tropicale gabonaise tourner Equateur dans des conditions climatiques pénibles. Francis Huster remplace Patrick Dewaere avec lequel Serge révait de tourner. Le film sera un échec commercial à sa sortie.
    Au festival de Cannes (1983) il se fait huer et chahuter. Cette même année il devient parrain (ou papa 2 comme il se nomme) de Lou, la fille de Jane et de Jacques Doillon. Il s'enfonce dans la déprime, se "cuite" de plus en plus souvent, mais son inspiration est intacte, il est toujours très sollicité par les annonceurs : Gini (avec Bambou), Orelia (sorte d'Orangina américain), Palmolive (shampooing), Friskies (nourriture pour chiens) ou encore Roumillat (fromage) et Anny Blatt (laines). Il compose deux albums, l'un pour Isabelle Adjani, l'autre pour Jane Birkin.

    Au printemps 1985 Serge perd sa mère, Olia, âgée alors de 92 ans. Au même moment, sous l'œil attendri et admiratif de Serge, Jane Birkin monte sur la scène d'un théâtre pour donner la réplique à Michel Picolli dans La fausse suivante. Depuis quelques temps Gainsbourg est l'invité rêvé des plateaux télé, doué pour provoquer des scandales qui font grimper l'audimat, il est de plus en plus souvent sollicité pour des émissions. Alors qu'il participe en direct à l'émission télévisée de Patrick Sabatier, au cours de laquelle il doit répondre aux questions souvent hostiles des téléspectateurs, il établit un chèque de 100.000 francs pour Médecins sans frontières et retourne l'opinion en sa faveur. Le 19 septembre Jack Lang lui offre la croix d'Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres. Serge est particulièrement fier d’être directement décoré officier, et non chevalier comme Coluche ou Clint Eastwood. Puis il retourne à New York pour l'enregistrement de son dernier album studio, You're Under Arrest.

    Du 19 septembre au 27 octobre, il remonte sur scène, au Casino de Paris accompagné de musiciens et de choristes américains qui ne le quitteront plus, il se produit en province dans des concerts intitulés C’est ma tournée (23 dates en 26 jours !). Serge s'ennuie... Thomas Dutronc, 15 ans, lui tient compagnie de temps à autres… ainsi que ses amis fidèles : Jacques Wolfsohn, Jacques Dutronc. Enfermé dans son alcoolisme, en panne textuelle, en état permanent d'ébriété, il souffre de plus en plus d'angoisses liées aux affres de la création.

     

    Au début de l'année 89 il est hospitalisé à cinq reprises, les médecins se montrent très alarmistes, et l'avertissent du risque de cécité qu'il encourt. Au mois de Mars, il sort un album pour Bambou Made In China mais c'est un échec commercial. Bambou n'a aucune formation musicale et Serge est en panne d'inspiration. Au mois d'avril il subit une ablation d'une tumeur au foie, l'opération dure plus de six heures. En mai il est l'invité de Nulle part ailleurs, sur Canal+, et apparaît en forme, gai, enjoué, vif, et… à jeun. Les médecins lui ont strictement interdit l'absorption d'alcool, il s'y tient, pendant quelques mois seulement. A l'automne sort un coffret de 9 CD De Gainsbourg à Gainsbarre assorti d'une pub qui veut déjouer le destin : "Gainsbourg n'attend pas d'être mort pour être immortel". Invité par Patrick Sabatier pour son émission Et si on se disait tout fin septembre, il avoue : "Mon deal avec la mort ne regarde personne, que je reboive et que je refume, c'est mon problème".

    Une semaine plus tard il entre en urgence à l'hôpital américain suite à un malaise cardiaque. Nous sommes le 2 mars 1991. Ce sera le 5è et le dernier.

    Il est enterré avec ses parents au cimetière Montparnasse (1re section) à Paris, le 7 mars

     

    ______________________________________________Corval


    votre commentaire
  • Mademoiselle de Paris, Les lavandières du Portugal ont été ses plus grands succès. Jacqueline François a représenté l'élégance parisienne de New York à Tokyo. Dans le monde entier, elle fut l'ambassadrice de la chanson française populaire de qualité. A 87 ans, Jacqueline François s'en est allée avec délicatesse en toute discrétion, le 7 mars dernier.

      

       Née à Neuilly-sur-Seine, le 30 janvier 1922, dans une famille sans histoire, Jacqueline Guillemautot a été une petite fille chouchoutée par un père salarié de la société Roja, fabricant de brillantine. Sa mère était femme au foyer. Ainée de cinq enfants, elle avait deux frères et deux soeurs. Avant la guerre, Neuilly-sur-Seine était une ville accessible aux classes populaires et l'on parlait "titi parisien", un accent qui caractérisait bien la jeune Jacqueline alors qu'elle vivait avec ses parents dans leur pavillon.

       A 16 ans, la jeune fille n'a qu'une obsession : devenir chanteuse. En 1942, elle enchaîne les figurations au côté de Julien Carette, dans Boléro, ou dans La prière aux étoiles, un film inachevé. La même année, elle passe une audition à la radio et est convoquée... trois ans plus tard, à la Libération.

    Après la guerre, elle change de nom et prend pour pseudonyme "François", le prénom du fils qu'elle a eu avec le musicien et chanteur Henri Decker.

       C'est là que tout commence. Dans l'orchestre de son ami Raymond Legrand, le père du célèbre compositeur Michel, se trouve un certain Louis Gasté qui n'est pas encore le mari de Line Renaud.

    Il repère immédiatement l'oreille exceptionnelle de Jacqueline François et lui propose deux chansons qui deviendront les deux premiers succès de la future Mademoiselle de Paris, Gentleman et Ca n'était pas original sur des paroles de Françoise Giroud, gravées chez Sofradi en 1947 et 1948.

       En 1953, elle avait chanté dans le monde entier, parcourant ainsi 250 000 kilomètres, soit six fois le tour de la Terre !

       A 31 ans, elle est la première femme à atteindre le million de disques vendus, se plaçant au niveau de Tino Rossi et Jacques Hélian. Elle dépasse Edith Piaf, Yvette Giraud et Lucienne Delyle, les grandes stars des années 1950.

       Celle que Michel Tauriac, qualifiait à la fin des années 1950 de "voix la plus amoureuse du monde", a aussi révolutionné le monde de la chanson par sa décontraction. Quand elle enregistrait, elle enlevait ses chaussures, dire que je pensais que c'était un style inventé par les hippies !

       Superstitieuse, la star avait trois fétiches : une main de négresse, une médaille du Christ du Corvovado autour du cou et une autre de la Vierge.

       Jacqueline François avait le chic pour choisir ses auteurs et flairer les talents naissants. C'est elle qui, la première, a chanté les chansons de Charles Aznavour (Sa jeunesse, On ne sait jamais), qui a toujours salué son oreille irréprochable. Même Alain Barrière lui doit le lancement de sa Marie Joconde. En 1963, c'est à Edith Piaf qu'Alain Barrière, jeune débutant, propose sa chanson, mais c'est Jacqueline François qui la crée, du fait de la mort de la grande Edith.

      Jacqueline choisissait avec l'oreille et le coeur. Si les yé-yé ont eu raison de son succès, la star du microssillon a continué de se produire dans le monde entier. Elle a figuré dans les émissions de son ami Pascal Sevran, mais aussi dans celles, très populaires, de Guy Lux des années 1970 à 1990. Elle est restée amie avec ceux qu'elle a mis en lumière, Aznavour a pris de ses nouvelles jusqu'à la fin, tout comme Michel Legrand, Line Renaud, Mick Micheyl, ou Anny Gould.

       Mademoiselle de Paris reste pour nous une des grandes voix de la chanson française. Son dernier producteur et ami, Yvon Chateigner, lui rend un dernier hommage : la réédition de l'album Solitaires, qui inclut un duo inédit, Allô mon coeur avec Fernand Raynaud, datant de 1958, Ce CD compte également un DVD rassemblant des documents inédits fournis par son fils François.


       Ainsi les amoureux de la chanson française populaire pourront une dernière fois lui dire : "Merci, Mademoiselle de Paris !"

     

     

     

                                                Corval et Dominique P.


    4 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique