• 1968 - ESPAGNE

    1968, Londres, Royaume-Uni

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    Si un an à peine sépare l'édition du Concours Eurovision de Vienne et celle qui se déroule à Londres en 1968, les deux compétitions nous semblent aujourd'hui appartenir à deux mondes distincts. Une différence qui tient non pas à la forme du concours en lui-même ou à la qualité des titres présentés mais bien à l'avènement de la télévision couleur.

    Les 17 nations qui s'étaient affrontées l'an passé à Vienne se retrouvent le 6 avril 1968 sur la scène londonienne du Royal Albert Hall. Une assemblée que viendra brièvement rejoindre un 18è participant, lorsque débarqués d'une limousine, un groupe de jeunes gens fait son apparition sur la scène du Royal Albert Hall le jour de la répétition générale, réclamant l'entrée de l'Albanie dans le concours !

    Le candidat portugais Carlos Mendes a l'honneur d'inaugurer la 13è édition du Concours Eurovision de la Chanson. Son titre, Verão, est un morceau bien enlevé et rythmé, plus en accord avec les tendances musicales de l'époque que ne le seront tous les titres à venir du concours. Ronnie Tober qui à plusieurs reprises avait tenté de se qualifier pour la finale du Grand Prix réussit cette année-là son entrée dans le concours. Son titre Morgen séduit le public néerlandais qui en fait son candidat à l'Eurovision. Premier artiste de l'histoire du concours à afficher ouvertement son homosexualité, Tober, confiant mais légèrement emprunté, se lance dans une interprétation charmante. Deuxième candidat par ordre de passage, l'artiste se retrouve en fin de soirée en dernière place du classement avec un seul petit vote en sa faveur.

    Monaco est représenté par le duo français Line & Willy, tout comme le Luxembourg qui accorde sa confiance à un jeune couple dans le vent, Chris Baldo & Sophie Garel, qui interprète Nous vivrons d'amour. Baldo entonnait les couplets d'une voix grave, avec une intonation à la Maurice Chevalier, alors que Sophie se joignait à lui à chaque refrain sur un registre légèrement plus aigu. Le manque d'harmonie au niveau vocal se traduisait également quant à leur tenue de scène. La jeune femme était vêtue d'une longue robe blanche en tricot assez informe, zébrée de curieux motifs noirs et rouges, alors que Chris avait opté pour un costume cravate bleu pâle des plus conventionnels. La plupart des hommes participant cette année au concours paraissent bien fades en regard des femmes qui ont compris tout l'intérêt à jouer de la couleur pour mettre en valeur leur image. L'artiste italien Gianni Mascolo, candidat pour la Suisse, fait exception à la règle en arborant un excentrique costume orange vif assorti à sa cravate et à sa paire de lunettes. Sa mélodie bien rythmée s'impose comme l'une des plus agréables chansons du concours; les juges seront pourtant bien incapables d'apprécier le candidat au-delà des apparences et l'artiste aura toutes les peines du monde à arracher deux petits points au dernier jury, sauvant du même coup son honneur.

    La candidate française Isabelle Aubret qui avait remporté le Grand Prix en 1962 est la seule artiste à se représenter avec un titre collant aux tendances de l'époque. Sa chanson, La source, bénéficie d'un excellent arrangement et d'une mélodie accrocheuse; mais ces qualités ne suffiront pas à l'artiste pour décrocher une seconde victoire, même si tout au long de la procédure de vote la candidate faisait figure de gagnante potentielle. Parmi les favoris se trouvait également le représentant de l'Irlande Pat McGuigan, ou plus précisément McGeegan, comme il souhaitait désormais se faire appeler. Son fils Barry qui assistait de son domicile à la prestation de son père deviendra un héros du peuple irlandais en décrochant en 1984 un titre de champion du monde de boxe. Avant chacun de ses combats, le boxeur invitait son père à chanter Danny Boy; des rendez-vous toujours honorés jusqu'à la mort prématurée de Pat.

    Les plus vifs applaudissements furent réservés au candidat Cliff Richard, leader incontesté de la scène pop britannique, auteur de toute une série de hits depuis le célèbre Move it de 1957, sans oublier les succès cinématographiques, avec entre autres Summer Holiday. Le titre qu'il interprète à l'Eurovision, Congratulations, écrit par les deux paroliers récompensés l'an passé, Bill Martin et Phil Coulter, a déjà atteint les sommets des charts britanniques et personne en Grande-Bretagne ne songe à l'échec.

    Cliff Richard fait son entrée sur scène en costume bleu et chemise blanche à jabot style Régence; son aisance et sa prestation étaient remarquables. Cris et applaudissements qui accompagnèrent son entrée sur scène se poursuivirent longtemps après que l'artiste eut achevé son numéro; il était évident que le vainqueur de la soirée ne pouvait être que lui. Une évidence que ne partagèrent pas les juges !

    Durant le simulacre de vote qui se déroula pendant les changements de costumes, Cliff assista avec consternation à son échec. Sentant monter en lui une certaine tension, l'artiste préféra quitter la scène pour filer droit aux toilettes et s'y enfermer plutôt que de prendre place parmi les votants.

    Odd Borre portait le plus étrange des noms de tous les candidats se présentant sur la scène d u Royal Albert Hall et sa chanson était tout aussi curieuse... Ce jeune Norvégien dégingandé à lunettes interpréta Stress, une sorte de staccato plus ou moins jazzy. Les compositeurs lui avaient demandé de paraître anxieux sur scène, une consigne qu'il appliqua à la lettre ! Les paroles de sa chanson enchaînaient de bizarres "yen, yen, yen, yen..." suivis de "ma, ma, ma, ma... bra, bra, bra, bra". Sa prestation participa à élever le titre interprété par la candidate espagnole suivante au rang de chef-d'oeuvre de l'art lyrique.

    Si les paroles de la chanson norvégienne avaient quelque chose de bizarre, que dire du titre espagnol La, la, la ? Son interprète, Massiel, était une beauté brune qui avait négocié sa participation avec la télévision espagnole après le départ du chanteur initialement prévu, ce dernier s'étant vu interdire de chanter en catalan. Elle réussit à convaincre les responsables de l'évidence de son succès. A la surprise générale - mais au désespoir de certains -, Massiel décrocha le Grand Prix. Le titre de sa chanson, La, la, la, aux paroles les plus monotones jamais entendues dans le concours, devint pour les organisateurs de l'Eurovision synonyme de médiocrité; jamais aucun gagnant n'essuya autant de critiques !

    Un second Norvégien se présenta sur scène en la personne du candidat choisi par l'Allemagne. Wencke Myrhe avait plusieurs fois espéré concourir pour son propre pays mais avait toujours échoué aux épreuves de qualification. Son titre interprété en allemand était ponctué de "viva l'amour" auxquels s'ajoutaient quelques désormais classiques "la, la, la". Myrhe réussit à rendre sa prestation convaincante et termina à la 6è place. Mais ce que le public retiendra de l'Allemagne tiendra plus aux votes qu'elle distribua qu'à ceux dont elle bénéficia.

    Alors que le Royaume-Uni caracolait en tête avec 26 points, suivi de l'Espagne à 23 et de la France à 20, l'Allemagne gratifia le Royaume-Uni de deux votes, sous les acclamations et les cris du public du Royal Albert Hall. Mais à la stupeur générale, elle récompensa l'Espagne de six votes lui permettant ainsi de se hisser en tête du classement ! Le dernier vote, celui de la Yougoslavie, ne changea rien à l'affaire et la candidate espagnole l'emporta d'un seul point !

    Juste avant l'annonce des résultats, la présentatrice Katie Boyle se montra aussi anxieuse que le public britannique. Jamais depuis 1963 le dénouement du concours n'avait fait l'objet d'un tel suspens. Katie finit par appeler Skopje en Yougoslavie qui avait choisi de n'attribuer aucun point à l'Espagne et au Royaume-Uni. Le public abasourdi accueillit dans le plus grand silence la reprise du titre gagnant.

    En coulisses, Cliff Richard toujours enfermé dans les toilettes entendit cependant son manager lui annoncer sa défaite alors que défilait sur les écrans le générique de fin et que le public quittait la salle. Les jours qui suivirent, les médias britanniques ne manquèrent pas de publier de virulentes critiques sur la manifestation ou plus exactement sur les résultats du concours. La chanteuse Massiel fit un retour triomphal en Espagne; des milliers de fans l'accueillirent à l'aéroport de Madrid, brandissant des pancartes sur lesquelles étaient griffonnés des messages de remerciements. Lors d'un concert se déroulant un peu plus tard dans l'année à Londres, Cliff Richard prétendra s'être vengé de la frustration ressentie à la fin du concours en ayant vivement attrapé Massiel à la gorge.

    La première retransmission couleur du concours fut un triomphe pour l'équipe de production de la BBC, même si le résultat de la compétition entraîna une réelle déception chez des millions de téléspectateurs. Pour la première fois dans l'histoire, la crédibilité de la manifestation se trouvait sérieusement mise en doute.

    Résultats en Finale

    1er-  ESPAGNE (La, la, la) MASSIEL (29 pts)

    2è-  Royaume-Uni (Congratulations) Cliff Richard (28 pts)

    3è-  France (La source) Isabelle Aubret (20 pts)

    4è-  Irlande (Chance of a lifetime) Pat McGuigan (18 pts)

    5è-  Suède (Det börjar verka kärlek banne mej) Claes-Göran Hederström (15 pts)

    6è-  Allemagne (Ein hoch der liebe) Wencke Myrhe (11 pts)

    7è=  Belgique (Quand tu reviendras) Claude Lombard

    et Monaco (A chacun sa chanson) Line & Willy

    et Yougoslavie (Jedan Dan) Luci Kapurso & Hamo Hajdarhodi (8 pts)

    10è-  Italie (Marianne) Sergio Endrigo (7 pts)

    11è=  Luxembourg (Nous vivrons d'amour) Chris Baldo & Sophie Garel

    et Portugal (Verão) Carlos Mendes (5 pts)

    13è=  Autriche (Tausend fenster) Karl Gott

    et Suisse (Guardando il sole) Gianni Mascolo

    et Norvège (Stress) Odd Borre (2 pts)

    16è=  Finlande (Kun kello käy) Kristiina Hautala

    et Pays-Bas (Morgen) Ronnie Tober (1 pt)

    (Le petit +)

    Après la victoire de Massiel, avec La, la, la, le marché sera littéralement envahi de versions vocales et instrumentales de ce hit, dont celle enregistrée par Jorgen Ingmann, un ancien gagnant de l'Eurovision. Massiel, élevée au rang d'héroïne nationale, reste une légende vivante en Espagne. La chanteuse a récemment enregistré une version rap de son ancien hit.

     

    13e Concours Eurovision de la chanson
    Image:ESC 1968.png
    Finale 6 avril 1968
    Présentateurs Katie Boyle
    Télédiffuseur hôte BBC
    Lieu Royal Albert Hall, Londres
    Royaume-Uni Royaume-Uni
    Chanson gagnante La, la, la
    par MASSIEL
    Espagne
    Nombre de participants 17

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