• Reportage de Jean-Claude Berthon pour France Disques:

     

     

    UN SPECTACLE TRES MOYEN

     

    "Concentration Rock" tint l'affiche durant trois jours à l'Olympia la semaine dernière. Et l'on en attendait beaucoup mieux que cela. Le plus applaudi de tout le spectacle fut sans doute Milou Duchamp, c'est dire la qualité des " vrais autres groupes de rock n'roll ".

         En première partie, Johnny Taylor, habillé d'un costume rouge, interprète un "Jezbel" très convaincant, tandis que son groupe The Strangers jouait "Telstar" en instrumental. Arielle et Billy Bridge étaient égaux à eux-mêmes. Tony Milton fut en quelque sorte une révélation, mais seulement de nom, car de voix, il rappelle trop Ray Charles. Néanmoins, il possède de très belles chansons et un très bon jeu de scène.Quant à Danny Boy, il a dû retirer "J'entends siffler le train" de son tour de chant, le public du samedi soir l'ayant sifflé tout au long de son interprétation qui est d'ailleurs très valable.

         Deuxième partie, José Salcy accrocha son public avec "Je suis né pour pleurer". Gillian Hills, elle, n'a toujours pas changé les chansons de son répertoire et n'a guère fait de progrès si ce n'est la présence en scène. Pour Les Chats Sauvages et leur nouveau chanteur Mike Shannon, il vaut mieux être indulgent cette fois-ci et attendre leur prochain passage dans un autre music-hall parisien. Mike a semblé avoir certaines qualités vocales, mais elles furent gâchées par son inexpérience de la scène.

         Ce sont Les Champions qui passaient, en instrumental, en intermède de chaque numéro, qui sortaient leur épingle du jeu finalement. Ils ont travaillé très dur et mérite une bonne critique :

    Les Champions vous êtes les plus fort en France !


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  • Reportage Jean-Claude Berthon pour Disco-Revue:



    JOHNNY HALLYDAY A FAIT TRIOMPHER SA JEUNESSE DEVANT LE "TOUT-PARIS"

     


    " Je cherche une fille, oh, oh, oh; je cherche une fille, yé, yé "...

         On était anxieux. Cette première chanson interprétée par Johnny ne fut accueillie que par des applaudissements superficiels. Convient-il de préciser que ce soir-là, 70% au moins de l'audience avait une moyenne d'âge située entre 30 et 35 ans, et que ce fut le premier choc. Ce contact direct fit chuchoter : " regardez cette façon de se trémousser, quelle allure ! ".

         Puis Johnny s'adressa au public pour lui dire combien sa joie était grande de pouvoir interprêter un rock'n'roll composé de toutes pièces par son meilleur ami, Charles Aznavour.

         Le coup de " baguette magique " était donné. On prêtait une attention prononcée aux paroles, au rythme. On acceptait l'expérience. On applaudissait sans réserve.

         Maintenant que le public était confiant, il fallait jouer serré. Johnny sorti sa meilleure carte. " Avec une poignée de terre ". On  n'avait pas lésiné sur l'éclairage, les choeurs et accompagnements qui permirent à Johnny de donner le second choc définitif.

         La salle fut frappée au coeur, d'un coup mortel. La voix du chanteur changea soudain. L'instant devint pathétique ! Il modelait en nuances vocales la création du premier homme (thème de la chanson). Madame sécha une larme qu'elle n'avait même pas sentie glisser sur son maquillage tant ce jeune ressentait ce qu'il était en train d'interpréter. Elle était absorbée, oubliait son âge et semblait " vivre ".

         On avait compris. Ce jeune de 18 ans est plus qu'un talent. C'est une personnalité, présente et réelle. Rock'n'roll et twist succédèrent et la surprise fut générale quand, étant sur le point de chanter sa dernière chanson, Johnny dit : " Et maintenant, je vais vous interpréter quelque chose de plus doux, de romantique...". On était tellement subjugué que l'on protesta.

         " Tutti frutti " fut la réponse Hallyday. Réponse qui se solda par une autre réponse de la part du public dont 80% frappait en rythme dans les mains, tapait du pied et criait, tout comme pour s'extérioriser et retrouver une jeunesse perdue.

         L'autre grosse surprise de la soirée fut réservée au service d'ordre qui n'eut à intervenir qu'une fois : durant " Tutti frutti ", deux hommes placés au beau milieu de la salle, et dont l'âge était d'environ trente ans, s'étaient levés pour manifester leur joie débordante.

         En conclusion, nous dirons que le spectacle est d'une qualité rarement atteinte dans le music-hall. Au cours de la première partie, nous avons remarqué spécialement "LES GHESSI" acrobates, GILLIAN HILLS qui interpréta avec beaucoup de rythme "Allons dans le bois", puis avec beaucoup de malice " Zou bisou bisou ". Enfin, "LES BRUTOS".


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  • Reportage de Valérie pour Disco-Revue:

     


    10.000 fans dans une salle gigantesque " The Wembley Empire Pool ". Le plus grand spectacle de l'année. Les plus grandes vedettes du disque anglais 1961.

    Ce rendez-vous colossal fut organisé par la revue hebdomadaire du disque anglaise "The new musical express".

    Plutôt que de vous décrire tout le spectacle, nous vous présentons les seuls chanteurs que vous pouvez être appelés à connaître en indiquant quelques détails biographiques et les titres des chansons qu'ils interprétèrent ce jour-là.

    Parmi les autres vedettes qui figuraient également : John Leyton, The Allisons, The John Barry Seven, The Temperance Seven, The Brook Brothers, Billy Fury, Bob Miller and his Millermen et Bob Wallis Jazzmen.

     

    EDEN KANE

    Né à Delhi le 29 mars 1942, il fit ses débuts cette année même à la T.V. anglaise. Son disque " Well I ask you " monta numéro 1 dans les bourses spécialisées. Son nouveau titre " I get lost " semble suivre le même chemin.

    CLIFF RICHARD et THE SHADOWS

    Inutile de vous les présenter. The Shadows jouèrent seuls " Apache ", " The frightened city " et " FBI ", puis accompagnèrent Cliff dans " Living doll ", " What'd I say ", " A girl like you ".

    JESS CONRAD

    La personnalité la plus marquante de l'année. Né à Londres le 24 février 1940, il vendait des fleurs sur les trottoirs de Marble Arch à Londres, il y a deux ans. Il interpréta entre autre " Mystery girl " et " Cherry pie ".

     ADAM FAITH

    Voilà maintenant deux ans que Adam Faith fait des best-sellers en Angleterre. Il est né à Acton (Londres) le 23 juin 1940. Accompagné par la formation de John Barry Seven, il interpréta " Easy going me ", " I could write a book ", " Johnny comes marching home " et " Big time ".


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  • Il est des artistes qui vendent autant de disques post-mortem que vivant. Joe Dassin est de ceux-là : superstar internationale dans les années 1960 et 70, et l’un des rares chanteurs français à percer massivement à l’étranger, les compilations, rééditions et hommages à son œuvre sortent encore régulièrement trente ans après sa disparition.


    Joseph Ira Dassin voit le jour le 5 novembre 1938 à New York. Fils d’une violoniste classique hongroise,Béatrice Launer, et du réalisateur Jules Dassin.
    En 1950, Jules Dassin et sa famille s’embarquent pour l’Europe, direction Paris. Si sa petite famille s’installe au cœur de la capitale, Joseph, lui, est envoyé dans divers pensionnats huppés en Suisse et en Italie. Il n’est scolarisé en France qu’en 1954.
    Inscrit en ethnologie dans une faculté parisienne, il s’avère un étudiant assidu et commence déjà à chanter et à jouer de la guitare tout en multipliant les jobs d’étudiants. Joe ne s’intéresse pas au cinéma, en revanche, il accepte de composer quelques chansons qui figureront dans les bandes originales de certains métrages paternels.
    Son doctorat d’ethnologie en poche, il sert d’assistant pour son père sur le désormais classique Topkapi, mais – souhaitant voler de ses propres ailes – il prend ses distances avec les activités paternelles et devient journaliste à Play-Boy et animateur à Radio Luxembourg (future RTL), multipliant les piges. En 1963, il rencontre Maryse dont il tombe amoureux et avec qui il emménage chez sa mère. Une amie de Maryse travaillant alors chez CBS est séduite par les compositions du jeune homme. 
    Si son premier disque avec « Je change un peu de vent » (février 65) est un flop, il permet à Joe Dassin de rencontrer le parolier Jean-Michel Rivat, qui va le suivre toute sa carrière. En mai 1965, Dassin retourne en studio et enregistre un nouvel EP 4-titres avec des standards américains adaptés pour un public français, c’est à nouveau un échec.
    Joe Dassin et Rivat concentrent leur énergie sur la reprise d’une petite ritournelle cubaine, « Guantanamera » (novembre 65, couplée à « Bip-bip »). Ce morceau est le carton qui permet à Joe Dassin de percer et d’obtenir la reconnaissance des radios et du public. L’année suivante, il épouse Maryse en petit comité. Les reprises étant à la mode, et Londres s’étant imposée comme la capitale musicale, c’est là-bas que Dassin se rend pour enregistrer « Ca m’avance à quoi ? » la version française de « You Were On my Mind » (de Ian & Sylvia). A New York sort en 1966.
    Ayant accouché d’une petite ritournelle amusante intitulée « Les Dalton » (mai 67), il compte en faire cadeau à Henri Salvador, mais CBS le persuade de la conserver pour lui. Excellente suggestion car le morceau est le premier très grand succès de Dassin.
    Mais la fin des années 60 voit aussi la mode des reprises et des adaptations s’essouffler. Mai 68 contribue à ringardiser les Yé-yés, rejetés par la jeunesse. Ça tombe très bien pour Joe Dassin, dont les chansons « naturelles », accompagnées à la guitare sèche, correspondent parfaitement à l’esprit de l’époque. « Marie-Jeanne » (d'après le fameux « Ode to Billie Joe » de Bobby Gentry) et l'original « Tout bébé a besoin d’une maman » en octobre 67, « La Bande à Bonnot », et « Siffler sur la colline » début 68, « Ma Bonne étoile » puis « Le Petit pain au chocolat »  fin 68, sont autant de tubes qui plaisent à une large frange de la jeunesse de l’époque.
    En mars 1969, il retourne à Londres pour mettre en boîte ce qui deviendra l’un de ses succès planétaires : « Les Champs-Élysées », à l'origine une face B de 45-tours, adaptation d'un hit des plus obscurs qu'il transforme en or, « Waterloo Road »
    d'un certain Jason Crest. Présent sur Le Chemin de Papa (1969), « Les Champs-Élysées » en devient le titre-phare et un succès mondial, que ce soit dans sa version française, anglaise, italienne ou même allemande.
    Ultra perfectionniste, l’artiste ne laisse rien au hasard et l’année suivante, sortent « L’Amérique » Yellow River » du trio Christie) et « Cécilia » (de Paul Simon) deux nouveaux hits qui lui valent la reconnaissance du public international, assortis d'un album avec d'autres succès : « La Fleur aux dents », « L'Equipe à Jojo » (mai 1970).
    Après un petit passage à vide d’un an et un album peu remarqué, Elle Etait Oh... en 1971, Joe Dassin fait son grand retour sur la scène sur les conseils de son épouse, afin de reprendre contact avec le public. « Taka Taka Ta » (mai 72) est son tube du moment. Les tubes s'empilent encore, « A vélo dans Paris », « Le Moustique » (le « Mosquito » des Doors, mars 73), et « Salut les amoureux» City of New Orleans » d'Arlo Guthrie) qui sont des succès instantanés.
    Malheureusement, en 1973, sa femme donne naissance à un fils, Joshua, qui meurt quelques jours après l’accouchement. Anéanti par cette nouvelle, Joe Dassin déprime avant de se motiver pour retrouver le chemin des studios. Mais l’album qui sort de cette période est un échec (Treize Nouvelles Chansons). A contrario, c’est en composant quelques chansons légères et un peu paillardes pour Carlos qu’il réussit à retrouver le goût de la vie. Pourtant, conscient de  devoir rebondir pour ne pas être oublié du public, il réussit avec son ami le parolier Pierre Delanoë à écrire le tube qui signera son grand retour : « L’Eté indien », paru en juin 1975 (l'original : « Africa» de Albatros). Succès international à nouveau pour Joe Dassin qui n’oublie pas d’en adapter plusieurs versions dans différentes langues. Désormais, le seul nom de Dassin est synonyme de succès garanti, comme en témoignent ses deux grands 45-tours de l'année 1976 : « Ca va pas changer le monde » et « Et si tu n'existais pas ».
    En 1976, sa collaboration avec les Italiens Toto Cutugno et Vito Pallavicini ajoute un nouveau tube au répertoire déjà bien garni de l’artiste : « Le Jardin du Luxembourg », chanson originale de 12 minutes dont plusieurs remixes sont aussitôt tirés. Appelant autour de lui des compositeurs comme Toto Cutugno, William Sheller ou Didier Barbelivien, Dassin continue à multiplier tubes et tournées.
    Ne voulant absolument pas se faire dépasser par la génération montante, il se montre des plus prolifique et sort Blue Country à l'été 1980. A force de trop travailler et de multiplier la fatigue physique et les tournés (sans compter l’alcool et le tabac), Dassin épuise rapidement son corps. Plusieurs infarctus l’obligent à des soins médicaux fréquents. Contraint par son entourage à prendre du repos, l’artiste se choisit une villégiature à Tahiti. Mais son corps, affaibli par tous ses excès, est au bout du rouleau. Le 20 août 1980, alors qu’il déjeune dans un restaurant de Papeete, une crise cardiaque l’emporte. 
    Dès sa disparition, les compilations affluent. Depuis, le nombre de rééditions, compilations, hommages, remixes, rééditions CD, puis DVD devient exponentielle. En 1995, Joe Dassin est, avec Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman, l’artiste francophone qui vendit le plus de disques en France. Alors qu'il est déjà mort depuis quinze ans.


    ____________________________________Corval & B. D'Alguerre


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  • Soixante-huit ans de carrière ! Alors que de nombreuses légendes de la chanson font figure de météores, la longévité de Maurice Chevalier laisse rêveur. Sans doute la devait-il entre autres à sa double casquette, grand écart entre son image française de « Français moyen » et celle internationale de « French lover ». De ce malentendu naît ce qui fut une manière d’universalité de Maurice Chevalier. Les jeunes français des années 1960 qui gardent le souvenir d’un papy désespérément franchouillard ne se souvenaient guère de l’aura de séducteur de Chevalier, tombeur gouailleur en France, classe parisienne incarnée outre-atlantique, mais toujours insubmersible. « Vous, les américains, vous admirez La Fayette et Maurice Chevalier, alors que ce sont les plus cons de tous les français ! » disait Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle. C’est peu dire qu’entre Chevalier et les jeunes branchés de l’époque s’était installée une certaine incompréhension: la résistance à toute épreuve du papy à canotier avait fini par rendre sa présence un peu lassante, mais l’étude de sa carrière suffit largement à expliquer son caractère insubmersible.

    Né le 12 septembre 1888 à Paris, ou plutôt à Ménilmontant (« Ménilmuche » comme on disait alors), le futur monstre est issu d’une famille populaire : son père, peintre en bâtiment, ayant rapidement quitté le domicile conjugal, le petit Maurice sera surtout proche de sa mère, Joséphine Van Den Bosch, d’origine belge. Obligé à 10 ans de quitter l’école pour travailler, il se frotte à divers emplois mais s’intéresse rapidement au spectacle.
    D’abord attiré par le cirque, il doit abandonner sa vocation d’acrobate à la suite d’une blessure. Ne souhaitant pas renoncer au monde du spectacle, l’enfant choisit de se tourner vers la chanson et court rapidement les café-concerts et les salles de spectacle à la recherche d’engagements souvent chichement rémunérés. Maurice appuie ses effets humoristiques pour compenser une voix qui n’a rien de renversant et obtient quelque succès grâce à ses imitations.  Décrochant une audition publique au Casino des Tourelles, il commence à se faire un petit nom et adopte son costume archétypal de dandy « popu », à costume et canotier. Mais ses débuts sont laborieux et le tout jeune chanteur doit affronter plusieurs échecs avant de triompher en 1905 à l'Alcazar de Marseille.
    Maurice Chevalier revient en vainqueur à Paris : désormais lancé, il entretient sa notoriété naissante en apparaissant dans des films muets et obtient en 1909 le premier rôle dans une revue des Folies Bergères. Fluet, il se fortifie par le sport, apprend les claquettes, devient un danseur hors-pair. Sa réussite professionnelle s’accompagne d’un appui sentimental de poids : le jeunot est en effet devenu le compagnon de la chanteuse Fréhel, reine de la chanson réaliste. Mais cette liaison s’avèrera à double tranchant : Fréhel, prisonnière de l’alcool et de la drogue, entraîne son jeune amant dans la consommation de stupéfiants, dont il ne parvient à se libérer qu’en coupant court à leur liaison.
    Maurice Chevalier ne va pas tarder à se lier avec une autre reine du music-hall : Mistinguett, de treize ans son aînée, entame avec lui une longue histoire d’amour qui se doublera d’un partenariat à la scène. Le couple triomphe dans le numéro « La Valse renversante », aux Folies Bergères et « a Miss » achève de faire de son jeune amant, auquel elle apprend toutes les ficelles du métier,  une vedette accomplie. 
    En 1913, Chevalier part faire son service militaire. Un an plus tard, la Première Guerre mondiale éclate : Maurice Chevalier est blessé et capturé. Prisonnier en Allemagne, il est libéré deux ans plus tard grâce à l’intervention de Mistinguett qui a su faire jouer ses relations et revient magistralement sur le devant de la scène. Le couple va au front soutenir le morale des troupes. En 1917, Chevalier devient la vedette du Casino de Paris et se produit devant des soldats anglais et américains, ce qui lui donne l’occasion de découvrir la culture anglo-saxonne. S’intéressant au jazz et au ragtime, il enrichit son répertoire et commence à penser à l’international, d’autant que son emprisonnement lui a donné l’occasion d’apprendre l’anglais.  Désirant apparaître comme autre chose que le « protégé de Mistinguett », il finit par rompre avec sa protectrice pour voler de ses propres ailes.
     Au début des Années folles, Maurice Chevalier est partout et triomphe grâce aux chansons que lui écrit Albert Willemetz : « Dans la vie faut pas s'en faire » (1921), « Valentine » (1924). Le phonographe, désormais démocratisé, relaie ses succès auprès de la France entière. L’opérette Dédé (1922) est un triomphe qui l’amène à tenter l’aventure américaine : mais Chevalier échoue à exporter le spectacle à Broadway et rentre en France la queue entre les jambes. Revigoré par son nouveau mariage, il renoue rapidement avec le succès, mais n’a pas dit son dernier mot : les débuts du cinéma parlant lui donneront une nouvelle occasion de tenter sa chance à Hollywood, où son impossible accent frenchy des faubourgs passe paradoxalement pour le summum de la classe.
    Entré sous contrat avec les studios Paramount, il se trouve même tenu par une clause de garder son accent français. Il tourne dix films aux Etats-Unis, dont le plus connu restera La Veuve joyeuse  d’Ernst Lubitsch (1934), qu’il tourne en double version, française et anglaise. Chevalier mène aux Etats-Unis une vie de star à part entière, son mariage ne résistant guère à une liaison avec Marlène Dietrich. En 1935, passé à la MGM où sa carrière américaine marque un peu le pas, Maurice décide de renouer avec le public français et fait salle comble dans des revues comme Paris en joie
    ou Amours de Paris. Les années 1930 le voient connaître ses plus gros succès, avec les chansons « Prosper » (1935), « Ma Pomme » (1936), « Ca fait d’excellents français » (1939), portraits de personnages croquignolets de la France d’alors ou odes à la joie de vivre et à la débrouillardise françaises.
    Durant l’Occupation, Maurice Chevalier continue sa carrière : installé à Cannes avec sa compagne la danseuse juive Nita Raya, dont il aidera les parents à se cacher, il risque un retour dans la capitale occupée pour les besoins de la revue Bonjour Paris. Admirateur de Pétain (comme la majorité des français en 1940), il refuse l’offre des Allemands de se produire à Berlin ou sur les ondes de Radio-Paris, média collaborationniste. A la demande de Pétain, Chevalier se produit néanmoins en Allemagne dans un camp de prisonniers français, de manière tout à fait bénévole « just to entertain ze boys » et en échange de la libération de plusieurs détenus. Son attitude sera néanmoins jugée ambiguë par le Comité d’épuration et, en 1944, Chevalier est contraint de se cacher. Grâce au soutien de plusieurs personnalités artistiques et intellectuelles, il revient la même année sur le devant de la scène, entièrement réhabilité. Mais son image dans les pays anglo-saxons en souffre quelque peu et la Grande-Bretagne lui refusera pendant plusieurs années l’entrée sur son territoire.
    Après une rentrée en 1945 sur la scène parisienne, Maurice Chevalier fait également son retour au cinéma, en tournant en Le Silence est d’or de René Clair, qui sera un grand succès de l’année 1947. Il fait également son retour sur la scène américaine, prouvant que l’approche de la soixantaine n’a en rien entamé son allant. Mais, après le nazisme, c’est une autre idéologie totalitaire qui va indirectement handicaper sa carrière : ayant signé l’appel de Stockholm, pétition initiée par le PCF contre l'armement nucléaire, Chevalier est catalogué par le gouvernement américain comme sympathisant communiste et se voit refuser pendant plusieurs années l’accès au territoire des Etats-Unis. Il continue de se produire dans le monde entier mais sa relation avec le public américain semble ternie, son come-back américain de 1955 ne remportant qu’un succès moyen.
    Mais deux ans plus tard, Billy Wilder le relance en lui confiant l’un des rôles principaux de son film Ariane, avec Audrey Hepburn et Gary Cooper. L’année suivante, c’est Vincente Minnelli qui l’engage dans Gigi comédie musicale inspirée de Colette, où il se joint aux autres frenchies d’Hollywood Leslie Caron et Louis Jourdan pour incarner la classe et l’élégance française. Au milieu de la moisson d’Oscars remportés par le film, Chevalier se paie le luxe d’une récompense pour sa « contribution de plus d'un demi-siècle au monde du spectacle ». En 1961, il reprend le rôle de Panisse dans Fanny , remake américain de la trilogie de Pagnol, honni en France mais adoré aux Etats-Unis qui ne s’offusquent guère de voir un Parisien archétypal jouer un rôle de Marseillais. Le « French lover » de Ménilmuche ne s’arrête plus : statufié de son vivant, littéralement dopé, boulimique de travail, il continue de publier à toute allure des volumes de souvenirs – qui donneront au total une autobiographie en dix tomes -, tourne au cinéma, se produit dans le monde entier, est reçu à déjeuner par le Général de Gaulle.
    L’âge venant, Chevalier pense néanmoins à sa retraite, qu’il mettra en scène de manière spectaculaire : en 1967, il entame une tournée mondiale qui s’achèvera à Paris pour son quatre-vingtième anniversaire.  Après cette apothéose, Maurice se retire de la scène. Il meurt le 1er janvier 1972. Que l’on aime ou que l’on honnisse Maurice Chevalier et le cliché du français gouailleur et gentiment fantaisiste qu’il véhiculait en toute conscience, l’artiste n’en aura pas moins été l’une des images les plus endurantes et archétypales d’une certaine France à l’accent parigot délicieusement désuet. Plus qu’un véritable créateur ou un interprète indémodable (sa version de « Y’a de la joie » a davantage vieilli que celle de Charles Trénet et son accent outré a donné un gros coup de vieux à ses chansons en anglais), Chevalier était avant tout un personnage, dont le caractère endurant et l’image intemporelle ont pu survivre à ce que son répertoire peut aujourd’hui avoir de désuet. Survivant de la Belle-époque et des Années folles, Chevalier, à défaut d’être vraiment immortel, aura su d’une certaine manière incarner le passage d’un siècle.


    ___________________________________Corval & N. Malliarakis


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